#04 Loïg Chesnais Girard : « Je n’ai pas eu besoin de tuer le père »

Loïg Chesnais Girard : “Je suis banquier et socialiste, faut bien se racheter...”
Loïg Chesnais Girard, président du conseil régional de Bretagne - Photos par Olivier Roller

Il est le plus jeune président de région. Des deux dauphins de Le Drian, lequel gagnera les régionales ? le macroniste ou ce socialiste  ?

D’abord maire de Liffré en Ille-et-Vilaine, il devient conseiller régional de Bretagne, puis président de la région en 2017.  Il est resté socialiste et n’a pas cédé aux sirènes du macronisme. Entretien avec un héritier qui trace désormais sa route seul et qui compte bien garder la région Bretagne à gauche.

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Extraits du podcast ‘Dans l’oreille de Charles’, série ‘les grands barons’,
Interview menée par Thomas Thévenoud

Madeleine était ma grand-mère maternelle, elle était aussi adjointe au maire de Louveciennes dans les Yvelines. Elle était adjointe au social et pourtant elle était de droite, on disait UDF à l’époque. C’était quelque chose d’original dans ma tête d’enfant que quelqu’un de droite puisse s’occuper du social et de la solidarité. Elle a fait six mandats et elle a beaucoup compté pour moi.

Quand j’ai été élu maire de Liffré, elle a exprimé d’abord une forme de fierté, mais aussi une mise en garde permanente par rapport au côté dévorant de la vie politique. Elle était au service des autres et j’ai des souvenirs très marquants d’elle avec son écharpe tricolore, mais aussi dans la rue quand elle rencontrait des gens qui la remerciaient parce qu’elle les avait aidés à trouver un logement… C’est ça être élu local : juste trouver des solutions pour améliorer le quotidien des gens.

C’est elle, avec mon grand-père qui était au Parti socialiste, qui m’ont donné le virus. Lui était engagé dans la vie associative pour aider les personnes en situation de toxicomanie et de prostitution et il leur donnait beaucoup de son temps. Je me souviens de débats avec lui. Il me disait “ce qu’il me manque, c’est le pouvoir de changer les choses et le pouvoir c’est les politiques qu’ils l’ont”. Son engagement à elle et les débats avec lui ont donc forgé le jeune homme que je suis devenu.

« Il me disait “ce qu’il me manque, c’est le pouvoir de changer les choses et le pouvoir c’est les politiques qu’ils l’ont »

J’ai commencé mon engagement en créant une association pour les jeunes de ma commune. Le nom de cette association était : “Pourquoi pas ?”, tout un programme. Ça pourrait d’ailleurs être une phrase fétiche pour moi car je n’étais absolument pas programmé pour devenir président de la région Bretagne et d’ailleurs, quelques mois avant les choix de Jean-Yves Le Drian, je n’y pensais même pas. J’ai un parcours d’artisan de la République.

J’ai été élu très jeune, à 18 ans. À l’époque, j’étais en première, j’avais redoublé ma 4e et la proviseure du lycée m’a convoqué. Elle m’a dit : vous devriez passer votre bac d’abord, plutôt que de devenir conseiller municipal. Mes potes étaient footballeurs, ils jouaient de la gratte, ils faisaient plein de choses, et moi je partais dans ma mairie voir les hommes, les femmes, les agents de la collectivité…

Banquier socialiste

C’est une passion dévorante et maintenant, je suis à 100 % au service de la Bretagne. Mais j’ai l’honneur d’avoir un métier à côté qui me permet d’avoir une liberté certaine si les électeurs ou moi décidons d’arrêter. Je suis banquier et socialiste, faut bien se racheter… Pour moi, il n’y a pas de possibilité d’assumer une politique sociale sans création de richesse, sans création de valeur, sans capacité à faire en sorte que nos entreprises créent des emplois. Cette idée est intégrée en moi depuis bien longtemps, de par ma conception de la vie et de par mon expérience professionnelle.

« Je suis banquier et socialiste, faut bien se racheter… »

30 minutes à Tokyo

C’est lors d’un voyage à Tokyo en 2009 que je rencontre pour la première fois Jean-Yves Le Drian. À l’époque, je ne le connais absolument pas et pour moi, le président de la région est quelqu’un d’inaccessible. Mais j’insiste auprès de son cabinet pour l’accompagner car je veux montrer aux Japonais que le nouveau maire de Liffré où Canon a 600 emplois s’intéresse à l’économie.

« Je pars au Japon pour une demi-heure. Je décide de partir et je pose trois jours de RTT. Et cette demi-heure à Tokyo va changer ma vie. »

La première fois je suis recalé, on me dit que le voyage est déjà bouclé et il n’y a pas de place dans la délégation. Et puis l’année suivante, on me rappelle et on me propose d’accompagner Jean-Yves Le Drian. Mais la visite chez Canon ne dure que trente minutes. Autrement dit, je pars au Japon pour une demi-heure. Je décide de partir et je pose trois jours de RTT. Et cette demi-heure à Tokyo va changer ma vie.

Car, au-delà de ce rendez-vous, il y a eu l’échange le soir au bar de l’hôtel où on apprend à se connaître, on se renifle un peu, on découvre que nous avons la même passion pour l’entreprise, la même passion pour le territoire, la même passion pour l’engagement. Et puis on se plaît, voilà. Le lendemain, on se dit au revoir, moi je repartais vers l’aéroport et lui, il partait vers Kyoto je crois, où il avait un autre rendez-vous, et quelques mois plus tard il me propose d’embarquer dans son équipe en me précisant bien que la proposition c’est seulement d’être conseiller régional et rien d’autre. Et c’est comme ça que je monte dans le train et que j’embarque pour la Bretagne.

Vers la présidence de la Bretagne

Quand Jean-Yves est nommé ministre de François Hollande, Pierrick Massiot devient président de région et il me propose d’être vice-président dans son équipe, à l’économie toujours. C’est une marche de plus et puis après, il y a la campagne hallucinante de 2015.

Hallucinante parce que la campagne a lieu alors juste après les attentats du Bataclan à Paris. Je me souviens du silence au téléphone quand Jean-Yves m’apprend la nouvelle et décide de remonter à Paris. Nous comprenons que les choses vont changer. Nous comprenons que potentiellement, son engagement ne sera plus le même, y compris dans la campagne, et nous comprenons que le pays est saisi d’un effroi absolu.

Et puis en 2017, nouveau rebondissement quand il est nommé ministre des Affaires étrangères. Là, Emmanuel Macron lui demande de choisir définitivement entre le ministère et la région Bretagne, et je deviens président. Bien sûr qu’il y a des jaloux, mais il y a eu des gens heureux aussi. L’équipe a suivi la ligne que Jean-Yves a proposée et il n’a pas manqué une voix dans l’hémicycle de cette majorité pour que je sois élu président.

La foi en le collectif

Mon élection en tant que président se construit dans la campagne de 2015, quand je suis directeur de campagne. Les qualités qui m’ont amené à être président sont les mêmes que celles qui m’ont servi à être maire : être capable d’assembler des hommes et des femmes, y compris des hommes et des femmes qui n’ont rien en commun. On a une chose en commun, c’est l’amour du territoire, l’envie de servir et une vision de gauche. Mais quand on a dit ça, ça ne nous empêche pas de nous diviser et de nous engueuler parfois copieusement…

« Le collectif, s’il est bien mené, sert à créer de la valeur, encaisser les chocs, construire un avenir et transformer le réel »

Le collectif, s’il est bien mené, sert à créer de la valeur. Le collectif, s’il est bien mené, permet d’encaisser les chocs. Le collectif, s’il est bien mené, permet de construire un avenir et de transformer le réel. Il faut faire attention à ne pas être trop impatient. Parfois, avec les années, on se dit qu’on a assez d’expérience pour avoir envie de faire tout seul. Il faut savoir garder cette capacité à faire travailler les gens ensemble en ayant conscience que certains n’osent pas parler, certains n’osent pas s’exprimer, certains au contraire l’ouvrent un peu trop. Mais on connaît les défauts et les qualités des uns et des autres et on les embarque.

Père-fils

Je n’ai jamais eu besoin de tuer le père en politique. La question du père, je l’ai réglée très jeune. Quand mon père et ma mère se sont séparés, j’avais 6 ans, j’ai vécu une enfance très heureuse. Mais avec une maman qui a beaucoup sacrifié, beaucoup donné pour nous, et la collectivité a pris toute sa place aussi pour construire l’homme que je suis. Donc le sujet du manque ou la volonté de prouver quelque chose à son père, ce ne sont pas des sentiments que j’éprouve.

Quand j’ai eu mon premier enfant, ma femme m’a incité à reprendre contact avec mon père. Ça faisait 15 ans qu’on ne s’était pas vus. Je me souviens de l’échange téléphonique : “Bonjour, c’est ton fils, je vais moi-même être père. Il faudrait qu’on se revoie.” Depuis, on s’appelle de temps à autre mais nous ne connaissons pas bien et il n’y a pas de relation père-fils entre nous.

Je pense qu’on peut réussir en politique en restant fidèle, à condition d’exprimer à l’autre qu’on ne sera pas capable de tenir certaines lignes, ou qu’on dise à l’autre qu’on a des limites à ne pas dépasser

Macron

Emmanuel Macron est né la même année que moi. Mais je pense que nous n’avons pas grand-chose en commun. Emmanuel Macron a des qualités et une intelligence que je n’ai pas dans certains domaines, mais nous n’avons pas le même mode de raisonnement. Moi, j’ai commencé élu local et qu’est-ce qu’on apprend quand on est élu local ? Une forme d’humilité indispensable. Et ça permet de comprendre l’altérité. Quand vous êtes élu local, vous n’avez pas de filtre. Vous vivez la même réalité que les travailleurs pauvres de votre collectivité qui gagnent 800 ou 900 euros par mois. Les engagements que vous prenez, vous en voyez concrètement l’impact. Et ça, je le garde en tête chaque jour, maintenant que je suis un peu plus éloigné.

Avec le président de la République, nous n’avons pas le même champ lexical et même si je pense qu’il est redoutablement intelligent, je crois que nous n’avons la même vision de l’engagement.

Quand certains socialistes ont rejoint Emmanuel Macron, à commencer par Jean-Yves Le Drian, j’ai eu moi aussi ces réflexions. Par exemple, si vous prenez le discours de la Sorbonne sur l’Europe, je suis parfaitement en phase avec ce qu’il dit. J’ai même été emporté ce jour-là.

Loïg Chesnais Girard, président du conseil régional de Bretagne
« Le fait de se dire qu’on est en même temps de droite et de gauche. Pour moi, ça ne marche pas. Dans la République, il doit y avoir l’alternance »

 

Maintenant, il y a une limite pour moi, c’est le fait de se dire qu’on est en même temps de droite et de gauche. Pour moi, ça ne marche pas. Dans la République, il doit y avoir l’alternance. C’est le fondement de la démocratie, l’alternance. Si on est tous ensemble contre les méchants, c’est un peu comme la coalition dans Star Wars, moi je n’y crois pas.

Le “pack breton”

Je crois à l’organisation de majorité sur des projets. Et en Bretagne, on sait faire ça. Le dépassement, c’est s’engager, y compris avec des hommes et des femmes qui ne partagent pas forcément toutes vos opinions. Mais dire “on est tous ensemble pour gouverner, parce que les vrais ennemis c’est les extrêmes”, non, je n’y crois pas.

C’est ce que j’appelle le “pack breton”. C’est le fait que notre identité, notre territoire comptent avant tout. Nous sommes Bretons. Nous sommes au service de notre pays avant d’être au service de notre parti. Je me sens profondément européen, citoyen européen, Français dans la République mais surtout Breton. D’ailleurs, je pense que c’est peut-être parce que cette République n’est pas assez décentralisée qu’elle crée des tensions dans ses territoires.

Dès qu’on a un but commun, dès qu’on a un problème commun, on y a. Droite et gauche confondues, il y a un pack breton. D’ailleurs, il y a une équipe de Bretagne politique qui peut faire alliance sur un certain nombre de sujets. Il y a un étendard commun qui nous rassemble.

Dernièrement, au sujet des langues régionales, Paul Molac, député breton, député de la République mais breton, a embarqué la majorité dans l’hémicycle pour faire respecter les langues de Bretagne. Et pourtant je ne parle pas, ou plutôt je parle très mal le breton.

Avant les gilets jaunes, il y a eu les bonnets rouges qui s’opposaient à l’instauration d’une écotaxe sur les poids lourds et qui ont fait reculer le gouvernement. J’ai soutenu ce mouvement et pourtant je suis favorable à une fiscalité écologique – la fiscalité est un très bel outil pour transformer le réel. Mais il y a un deuxième point qui est très important, c’est celui de la justice, la justice fiscale. Je suis donc favorable à taxer plus fortement le carbone mais je pense qu’il faut le faire au niveau mondial ou au niveau européen. Sur ce sujet, comme sur beaucoup d’autres, on s’en sort par l’Europe.

Je suis sans doute plus écolo que Jean-Yves Le Drian mais c’est aussi une question de génération. Je suis pour la transformation radicale de notre économie, notamment sur le sujet du carbone, parce que c’est le poison du moment et qu’il faut vraiment assumer cette transition-là. Si nous ne faisons rien, nous allons rendre cette planète inhabitable et les premiers qui vont payer, ce sont les plus modestes.

Le pouvoir aux régions

Dans ma majorité, j’ai aussi des régionalistes comme Paul Molac justement. Ce sont des femmes et des hommes qui expriment plus fortement que moi encore ce besoin de récupérer du pouvoir, de l’autonomie dans les territoires. Ce n’est pas sortir de la République, ce n’est pas l’indépendance, c’est faire en sorte que dans notre République, on puisse tendre la main aux territoires parce que les élus locaux, avec les acteurs de la société, qu’ils soient du monde économique, du monde social, du monde associatif, sont souvent plus capables de produire des solutions aux problèmes qui sont face à eux, surtout dans le monde post-covid.

Je pense notamment qu’il faut encore transférer de nouvelles compétences aux régions, comme par exemple la santé. Je pense également que la politique du logement pourrait être décentralisée parce que nous avons des réalités qui ne sont pas les mêmes dans tous les territoires.

L’association Régions de France a pris effectivement de l’importance avec les 13 grandes régions. Les citoyens en ont marre du bashing, du clivage, du clash et de l’agitation permanente. Ils veulent qu’on règle leurs problèmes. Aujourd’hui, un président de région a presque plus de pouvoir qu’un ministre.

« L’influence des régions doit aussi se faire sentir à Bruxelles. Avant la Covid, j’allais une à deux fois par mois à Bruxelles. Parce que les décisions se prennent aussi là-bas »

Mais l’influence des régions doit aussi se faire sentir à Bruxelles. Avant la Covid, j’allais une à deux fois par mois à Bruxelles. Parce que les décisions se prennent aussi là-bas et que nous avons de plus en plus besoin que les régions d’Europe travaillent ensemble sur l’agriculture. Nous avons créé le club AgriRegion qui nous permet de travailler avec une vingtaine de régions européennes sur nos convictions respectives, avec des agricultures qui sont pourtant très différentes, et de faire des propositions à la Commission, au Parlement européen mais aussi à nos États membres respectifs.

Le Cheval d’orgueil

Même si j’observe ce qu’il se passe au niveau national et notamment la préparation de la campagne présidentielle, mon seul sujet c’est la Bretagne et mon engagement, c’est les Bretonnes et les Bretons. Dans mon livre ‘Le souffle breton’, l’idée était simplement de poser quelques idées, quelques jalons pour montrer qui je suis et pour expliquer à celles et ceux qui veulent me rejoindre dans le combat pour la Bretagne, la ligne qui est la mienne, puis de proposer des solutions qui peuvent bien sûr servir la Bretagne, mais inspirer, pourquoi pas, le reste du pays.

Moi je suis plutôt Pierre-Jakez Hélias qui a écrit ‘Le Cheval d’orgueil’. Ce livre a généré beaucoup de polémiques sur la manière de parler de la Bretagne. On lui a reproché d’être passéiste. On lui a reproché de montrer une image en Bretagne qui ne serait pas à la hauteur de ce que l’on voulait. D’ailleurs, nous avons encore ces débats aujourd’hui, et je pense que nous devons les avoir. Garder l’image, garder la culture, garder l’identité est important, mais il faut aussi savoir se projeter dans l’avenir avec enthousiasme et avec passion.

Le Questionnaire de Charles

Série préférée ?
‘The Crown’

Recette préférée ?
Le Kouign-Amann

Personnage historique préféré ?
Simone Veil

Plage préférée ?
Celle de Trébeurden dans les Côtes d’Armor

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