Croyant et ancien urgentiste, un profil qui plait et qui imprègne la vision politique du président de la région Grand Est.
Ancien maire de Mulhouse, qui fut l’épicentre de la propagation du virus à ses débuts, il a été confronté très vite à l’engorgement des services hospitaliers, aux drames humains et à la souffrance des personnels soignants. En tant qu’ancien médecin urgentiste, il sait mieux que personne comment fonctionne l’hôpital public en France et il n’a pas hésité à prêter main-forte. Mais l’homme de terrain s’est aussi transformé en lanceur d’alerte et a dénoncé notamment les lenteurs de la vaccination dans notre pays.
Aujourd’hui, alors que la politique reprend ses droits et qu’il est candidat à sa succession à la tête de la région Grand Est, il revient sur son parcours, sur les raisons de son engagement public mais parle aussi de son avenir. Entretien avec le président de région qui est peut-être le mieux placé pour parler de la crise sanitaire : Jean Rottner.
Extraits du podcast ‘Dans l’oreille de Charles’, série ‘Les grands barons de la politique’,
Interview menée par Thomas Thévenoud
Mes parents étaient instituteurs : un très beau métier. Et ils m’ont inculqué ce sens du service public. Après, ils se sont réorientés vers la prise en charge des personnes en situation de handicap mental. D’où sans doute cette passion pour l’hôpital public qui est une formidable leçon de vie. L’hôpital, c’est la vie quotidienne, c’est l’humanité, c’est la simplicité, mais c’est aussi parfois la désorganisation – et ce qui est intéressant, c’est d’arriver à organiser ce qui est désorganisé.
« Quand on est urgentiste ou quand on est en politique, il faut savoir prendre le temps de faire les choses »
Quand on est urgentiste ou quand on est en politique, il faut savoir prendre le temps de faire les choses. D’abord prendre du temps pour soi, pour savoir se ressourcer, sortir un peu du système. C’est absolument indispensable quand on est médecin urgentiste, il faut le faire pour être en capacité de faire le bon geste au bon moment. Et puis, parfois, il faut prendre de la distance, et savoir arrêter le temps. Et faire des petits breaks pour se retrouver en famille. J’ai besoin de me retrouver dans cet îlot très privé qui me permet de repartir.
Le métier de médecin urgentiste est difficile physiquement, psychologiquement. Mais c’est aussi être le patron d’une équipe. J’ai choisi cette spécialité parce que c’était une spécialité d’équipe, quand on est en train de réanimer la personne, on sait exactement quels gestes vont faire les personnes qui sont à votre droite ou à votre gauche. C’est comme une symphonie pour sauver la vie.
Le virus de la politique
On parlait politique en famille, mais mes parents n’étaient pas engagés. Ma mère a toujours été très sensible aux préoccupations écologistes et je sais, par exemple, qu’elle a voté plusieurs fois pour Antoine Waechter, qui est alsacien aussi. Mais je suis plutôt d’une famille de centre droit.
Le virus de la politique, je l’ai attrapé très tôt : quand je suis devenu responsable d’associations étudiantes, vice-président de l’université, et que je me suis formé au contact de grands noms du centrisme alsaciens comme Marcel Rudloff, ancien maire de Strasbourg, ou Adrien Zeller, mais aussi dans des lieux de contradiction, de dialogue. J’ai connu par exemple Catherine Trautmann pendant mes années d’étudiant et même si nous n’avons pas la même histoire politique, c’est quelqu’un que j’apprécie beaucoup.
Je ne vois pas dans un adversaire politique un ennemi. Bien au contraire, c’est la possibilité pour moi de me remettre en question, de faire évoluer mes idées, de progresser. Je ne suis pas quelqu’un de dogmatique. Pas forcément toujours consensuel, car il faut avoir des convictions en politique. Mais je suis l’héritier d’une forme de démocratie chrétienne à laquelle je suis profondément attaché.
« Je ne vois pas dans un adversaire politique un ennemi. Bien au contraire, c’est la possibilité pour moi de me remettre en question, de faire évoluer mes idées, de progresser »
Je suis croyant mais je me pose des questions. J’ai des doutes et des incertitudes, mais aussi beaucoup d’espérance. J’ai souvent approché la mort en tant que médecin urgentiste mais je n’ai jamais connu la mort comme je viens de la connaître depuis un an avec la pandémie. J’ai été vraiment touché par ce qui s’est passé, quand vous voyez partir autant d’amis, autant de collègues, autant de personnes connues ou moins connues.
Évidemment, j’ai eu à accompagner dans ma vie professionnelle des gens vers leur fin. Il faut savoir reconnaître quand on est au bout de la ressource médicale. Ce sont des souvenirs qui me hantent et que je n’oublierai jamais, des cicatrices en tant qu’homme et en tant que médecin. Concernant la question de la fin de vie et de l’euthanasie, ce que je regrette c’est que le débat qui vient de se dérouler à l’Assemblée a été tronqué. Il faut en faire un vrai débat de société et je pense que c’est aux Français de trancher par référendum la question de l’euthanasie en France.
Lanceur d’alerte
Au début de la pandémie, j’ai décidé de retourner à l’hôpital quelques temps. Ça m’a vraiment permis de me rendre compte et d’alerter. Mais il ne fallait pas non plus que cela se prolonge trop : on ne peut pas être à la fois politique et médecin. Dans cette crise, j’ai choisi très vite d’avoir un devoir d’alerte, un devoir de protection, un devoir de d’anticipation. C’est ce que j’ai fait en en voyant un SMS au président de la République. Je me souviens très bien, nous sommes le 2 mars 2020, je sors d’une garde au SMUR et je lui envoie un texto : “Il se passe quelque chose chez nous, c’est une épidémie sans précédent. Il faut agir vite”.
Je suis favorable à la vaccination obligatoire à l’hôpital. Dans l’hôpital que je préside, 42 % seulement des agents sont vaccinés, c’est incompréhensible. C’est vrai que l’hôpital public souffre, qu’il se pose des questions sur son avenir. Et ce n’est pas seulement une question de prime, de fin de mois. C’est aussi une perte de sens, le sens qu’on donne aux soins.
« L’hôpital public souffre, qu’il se pose des questions sur son avenir. Et ce n’est pas seulement une question de prime, de fin de mois. C’est aussi une perte de sens, le sens qu’on donne aux soins »
J’essaie de défendre une nouvelle forme de pacte social en France en matière de prise en charge des soins. Par exemple, je ne trouverais pas inconvenant pour moi que ma boîte de Doliprane qui coûte moins de 2 euros ne soit plus prise en charge par l’assurance maladie. J’ai moyens de la payer. En matière de prise en charge des soins, le tout gratos pour tout le monde, ça me dérange. Ça me dérange parce que, derrière, il n’y a plus de priorité et tout semble acquis pour tout le monde.
Au début de la crise sanitaire, c’était la désorganisation la plus totale entre l’hôpital public, la médecine de ville, les cliniques privées. Maintenant ça va mieux mais il y a encore des efforts à faire. C’est grâce à la proximité, à des solutions de terrain que nous avons réussi à sortir de la désorganisation.
Le Grand Est face à la pandémie
Quand il a fallu trouver des masques, j’ai lancé un appel sur les réseaux sociaux pour essayer de faire sortir des masques des entreprises et en 48 heures, on a trouvé 1,6 million. C’est le fameux stock Bachelot qui dormait dans des hangars. Grâce à ces masques, on a pu équiper les structures médico-sociales, des conseils départementaux, les médecins généralistes, les pompiers, les policiers, les avocats commis d’office… Je suis devenu un lanceur d’alerte sanitaire en quelque sorte.
Et puis j’ai commencé, en tant que président de région, à organiser les choses à l’échelle de la région. Parce que tout cela a commencé à Mulhouse mais deux à trois jours plus tard, le virus se répandait à Strasbourg et une semaine plus tard l’épidémie touchait l’ensemble de la région.
Quand j’ai donné de la voix pour dénoncer un certain nombre de carences, on m’a reproché de la politique politicienne. J’ai trouvé ça assez insultant. Quand en janvier dernier, on est 52e en termes de vaccination, juste derrière le Costa Rica, je trouve qu’il n’y a pas lieu d’être fier ! Aujourd’hui, la vaccination est lancée grâce une nouvelle fois aux acteurs locaux qui se sont bougés.
Mais je sais aussi reconnaître les qualités de l’action politique quand elle est positive. En matière d’économie, je pense que la France a fait des efforts tout à fait singuliers et je travaille au quotidien avec Bruno Le Maire et Agnès Pannier Runachier sur les dossiers économiques et la mise en œuvre du plan de relance.
Je crois que sur le plan sanitaire, on a été un peu “à la ramasse” et que l’organisation des directeurs d’ARS [agences régionales de santé, ndlr] porte une responsabilité. Ce sont des gens qui sont individuellement bourrés de qualité, mais qui ont surtout une vision budgétaire et administrative de la santé, pas de gestion de crise.
J’aurais préféré que ce soit le ministère de l’Intérieur en coordination avec le ministère de la Santé qui gère cette crise sanitaire. En France, ce n’est pas le choix qui a été fait et je pense qu’on est passé à côté d’un savoir-faire qui est celui de la sécurité civile.
« Il est temps de décentraliser la politique sanitaire, à l’instar de ce qui se fait pour la politique de l’emploi »
Et je pense qu’il est temps de décentraliser la politique sanitaire, à l’instar de ce qui se fait pour la politique de l’emploi. En la matière, il y a un cadre national fixé par le gouvernement et un cofinancement État-régions. Ensuite, c’est la région qui déploie la politique sur le terrain. Pourquoi ne pas imaginer la même chose pour la santé ? Je ne trouverais pas inconséquent par exemple de pouvoir gérer les aspects mobiliers et immobiliers des hôpitaux, pour que ceux-ci soient gérés de manière beaucoup plus efficace. C’est ce que demande d’ailleurs Régions de France.
Il y a une forme de solidarité et d’affinités entre les présidents de région actuels, malgré les différences d’histoire politique entre nous. J’ai par exemple beaucoup d’amitié et même de sympathie pour Carole Delga. Chez Régions de France, l’avantage c’est qu’on est peu nombreux, on peut se dire les choses clairement, sans détour.
La recentralisation
Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, on a l’impression d’une recentralisation extrêmement forte du pouvoir et de subir le poids d’une technostructure qui veut recentraliser. Il y a peut-être en effet une méconnaissance des réalités locales, mais surtout un défaut de confiance à l’égard des élus locaux. À force d’être considérés comme des “grands barons”, ça va un temps… Je vais prendre un exemple précis : depuis le début de son mandat, le président de la République ne nous a jamais reçus, Angela Merkel reçoit tous les mois les présidents des landers.
« Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, on a l’impression d’une recentralisation extrêmement forte du pouvoir et de subir le poids d’une technostructure qui veut recentraliser. Depuis le début de son mandat, le président de la République ne nous a jamais reçus, Angela Merkel reçoit tous les mois les présidents des landers »
L’idée d’avoir des régions plus importantes et plus puissantes était une bonne idée mais les modalités de concertation pour la création et découpage des grandes régions n’ont pas été à la hauteur. J’étais moi-même fermement opposé à ce redécoupage à l’époque. Maintenant, je crois qu’à la faveur de la crise, on a réussi créer une équipe de France du Grand Est. On travaille beaucoup plus sur la proximité. On relocalise en quelque sorte à l’échelle régionale et de nouveaux réseaux économiques de proximité se sont constitués à nouveau.
Investir, former, innover
Je ne cherche pas forcément à construire une identité nouvelle pour le Grand Est mais plutôt à lui donner une force nouvelle en s’appuyant sur la spécificité de la Champagne, la force aujourd’hui d’une ville comme Reims et des agglomérations de Nancy et de Metz avec le Luxembourg voisin, mais aussi la capacité d’innovation de la ruralité que je n’oublie pas et qui a également un potentiel énorme en termes de développement économique.
Il faut évidemment encourager la relocalisation d’activités industrielles. Je crois toujours à l’industrie. Une industrie 4.0 et même 5.0. Cela repose sur un triptyque : investir, former, innover. Ce sont les trois mots qui me servent de feuille de route dans le moment actuel. Et en particulier en matière de réindustrialisation. Aujourd’hui, la sidérurgie lorraine qui a tant souffert, qui a tant vu de fermetures, se développe à nouveau à travers Arcelor Mittal à Mézières-les-Metz, juste à côté de Metz, qui est devenu le premier centre mondial de recherche en matière de sidérurgie. C’est un peu la Silicon Valley de l’aciérie qui regroupe 1 500 chercheurs extrêmement performants.
Les régionales
Je crois qu’on peut réussir en politique tout en restant fidèle. Fidèle à ses valeurs et à ses convictions, fidèle à des hommes aussi. Bien sûr, il y a des moments où il faut arbitrer, et même parfois savoir faire un pas en arrière ou un pas de côté. Mais moi, je suis à ma famille politique et à mon équipe. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas souhaité fusionner au premier tour avec la liste LREM, contrairement au choix qu’a fait Renaud Muselier.
« Le Rassemblement national et Emmanuel Macron ont décidé d’enjamber les élections régionales. Ils sont déjà au stade des présidentielles et ils veulent déstabiliser la droite dans ce pays »
Aujourd’hui, si on me met dans les pattes une liste LREM, c’est juste pour essayer de m’affaiblir et à travers moi ma famille politique : la droite. Le Rassemblement national et Emmanuel Macron ont décidé d’enjamber les élections régionales. Ils sont déjà au stade des présidentielles et ils veulent déstabiliser la droite dans ce pays.
Je pense qu’au contraire, dans la période actuelle, nous avons besoin de stabilité dans cette région et de pouvoir débattre avec les gens des enjeux de leur quotidien et de leurs préoccupations locales. Il faut leur permettre de sortir aujourd’hui de cet instant de crise et les accompagner dans la relance, et non pas alimenter des débats de politique politicienne.