L’enfant de Marseille retrace le parcours et les aléas qui l’ont mené jusqu’à la tête de la ‘Région Sud’
Enfant de Marseille, amoureux de cette ville cosmopolite comme lui, il est aujourd’hui président de la Région Sud (ne dites plus la région PACA, il déteste ça) et, surtout, président de Régions de France, le plus puissant lobby d’élus de notre pays et l’interlocuteur privilégié de l’Etat.
Entretien exceptionnel avec Renaud Muselier qui revient sur son histoire, sa vie, son parcours et qui revendique fièrement d’avoir « une tête de con », sans langue de bois.
« Chez les Muselier, on n’est pas gaullistes, on est des français libres »
Tendez l’oreille…
Extraits du podcast ‘Dans l’oreille de Charles’, série ‘Les grands barons de la politique’,
Interview menée par Thomas Thévenoud
Un Français libre
Je ne crois pas que j’étais destiné à faire de la politique. Quand j’étais jeune, je voulais être légionnaire ou médecin. C’est toujours servir les autres, être attentif à la joie de vivre et au sens du bien-être.
Ma famille est une véritable mosaïque. On connaît bien sûr l’amiral Muselier qui a donné la croix de Lorraine à la France libre, mais mon cousin aussi était roi d’Albanie. Il était musulman. Mon arrière-grand-mère était juive, mon père a été déporté à Dachau, ma grand-mère était Américaine et moi je suis catholique. Oui, je crois en Dieu, je suis pratiquant modérément mais je crois en Dieu. Mes parents m’ont élevé dans le goût de la liberté.
Je suis d’une famille qui a beaucoup souffert pendant la guerre, une famille qui aime la vie, qui aime aider les autres. C’est peut-être aussi pour ça que j’ai fait médecine. Mon grand-père s’est marié trois fois, mon père s’est marié trois fois. Quand je suis né, il était déjà âgé, il m’a fait apprendre l’allemand mais refusait qu’on achète des machines allemandes.
Mon grand-père était un homme de gauche, on l’appelait l’Amiral Rouge. Il faisait la guerre tout le temps. C’était un guerrier alors que De Gaulle était un politique
Je n’ai jamais parlé de la déportation avec mon père. Ma mère ne m’a pas parlé non plus de ses actes de résistance : c’est un sujet tabou dans la famille. Mais ce qui n’est pas tabou en revanche, c’est le combat pour la liberté et la justice.
Mon grand-père était à moitié lorrain et à moitié polonais, sa mère était juive, il a été le premier officier supérieur de la Marine à rejoindre le général de Gaulle. Comme il était lorrain, il a enlevé les bourgeons de la croix de Lorraine et c’est devenu le symbole de la France libre. Mon grand-père était un homme de gauche, on l’appelait l’Amiral Rouge. Il faisait la guerre tout le temps. C’était un guerrier alors que De Gaulle était un politique.
Mon grand-père était un homme très indépendant, très dur, mais très maladroit sur le plan politique. À la fin de la guerre, il a même essayé de se présenter aux élections à Marseille mais il a été battu, sans même faire campagne. C’était absurde.
Moi, je suis un RPR, un chiraquien, un humaniste, un patriote. Encore aujourd’hui, je pourrais me définir comme un Français libre. Je ne déconstruis pas la carrière du général de Gaulle mais c’était un homme politique et il faisait d’abord de la politique. Il y a évidemment beaucoup de choses à garder de lui, mais il a aussi été déjugé par les Français. Chez les Muselier, on n’est pas gaullistes, on est des Français libres.
De politique et de karaté
Quand je décide de me lancer en politique, c’est la première fois dans ma famille que quelqu’un le fait. Mon premier engagement, c’est quand je suis étudiant en médecine, j’ai monté une corpo et j’ai raflé tous les sièges à la faculté de médecine. La première fois que je me présente c’est aux élections départementales contre un conseiller général Front national sortant. Je perds cette élection de 24 voix, soit moins d’une voix par bureau de vote, je m’en souviens encore. Un recours est déposé et ensuite je gagne à plus de 70 % lors de la deuxième élection. Il a donc fallu un échec pour que je comprenne comment faire de la politique. Je commence par un échec.
En 1993, je suis désigné pour être candidat aux législatives dans le centre-ville de Marseille et je suis élu dans la vague bleue. Cette année-là, il fallait avoir peu de talent pour ne pas être élu. C’est pour ça que j’invite mes amis d’En Marche à être humbles et à se souvenir du passé parce qu’en politique, il y a souvent des retours de balancier. Je représente Marseille au Parlement de la République. La première fois que je parle, j’ai les jambes qui tremblent, je m’accroche au pupitre.
Il a fallu un échec pour que je comprenne comment faire de la politique
En septembre 1994, il y a une énième grève des dockers dans le port de Marseille, qui crée un désastre économique et social. Il y a une manifestation de la communauté hors-dockers et j’en prends la tête. Ça dégénère. Sur le moment, je n’ai pas peur. Je me fais charger, je suis roué de coups, j’en prends pas mal, j’en donne aussi et je finis à l’hôpital… Je suis karateka, ceinture noire deuxième dan, vice-champion de France, mais ce jour-là je suis un peu submergé. Submergé mais je fais front.
Dans la vie, en général, il ne faut pas avoir peur. En politique, il faut de l’intelligence, de la sémantique, de l’habileté, de l’expérience, de la technicité et parfois, il faut aussi de la force physique. Parce que vous avez des hommes politiques ou des syndicalistes qui essaient de vous écrabouiller et que vous ne pouvez pas vous laisser faire…
La course au pouvoir
D’abord, j’ai toujours gardé mon métier de médecin. J’ai quatre enfants. Et j’ai toujours voulu garder mon indépendance. Avec mon métier, j’ai la capacité de faire autre chose. La vie politique est comme une espèce de drogue. Vous êtes comme un héroïnomane, comme un hamster dans la roue. Vous êtes sans cesse dans la compétition.
Dans cette course infernale, vous vous éloignez un peu de la réflexion et vous finissez par dépendre financièrement de votre mandat. Du coup, vous devenez un esclave de votre parti alors que vous devriez rester un serviteur de vos idées. Il faut être un professionnel de la politique, pas un amateur, et donc s’y consacrer à 100%. Mais, en même temps, il faut veiller à ne jamais dépendre de son parti.
Dans la vie, vous avez plusieurs moteurs : le sexe, l’argent et le pouvoir. La politique c’est la course pour le pouvoir. Une course qui se gagne à tous les niveaux. Dans un comité de quartier comme à l’Assemblée nationale. Plus vous montez, plus les trahisons se multiplient. C’est pour ça que ceux qui montent beaucoup d’étapes d’un coup se mettent en danger. Ils sont mal armés s’ils n’ont pas traversé des épreuves avant. Moi, on ne m’a jamais rien donné et j’ai gagné dans des circonstances très difficiles. J’ai fait 47 combats politiques sur mon nom. J’en ai plus gagné que perdu, mais j’en ai perdu un certain nombre.
La mairie de Marseille
J’étais programmé pour être maire de Marseille. C’était la logique des choses et ce qu’on avait construit avec Gaudin. Lui balladurien, moi chiraquien. Lui le juriste, moi le médecin. Mais, au moment où je devais prendre la métropole avec 19 voix d’avance, j’ai perdu. Ils m’ont fait tomber.
Ce qu’il restera de Jean-Claude Gaudin ? Une sortie ratée. Et la vérité qui éclate à la fin d’un règne qui a été trop long. Il voulait être un grand maire bâtisseur et il a raté sa sortie.
Bernard Tapie est une personnalité incroyable. J’ai une admiration pour le combattant.
Ce qu’il restera de Jean-Claude Gaudin ? Une sortie ratée. Et la vérité qui éclate à la fin d’un règne qui a été trop long
Benoît Payan est d’abord un militant socialiste. Biberonné au Parti socialiste. Dans un premier temps, il a essayé de fédérer la gauche mais il n’a pas réussi. Alors il s’en est remis à Madame Rubirola qui est une personnalité éminemment sympathique. Comme elle n’était pas faite pour ça, elle lui a passé la main. Je ne sais pas si c’est très respectueux du choix des électeurs, ni si c’était prévu par les partisans de gauche, encore moins par les militants de droite d’ailleurs, ni peut-être par Benoît Payan lui-même, mais c’est bien joué. Chapeau l’artiste !
Moi, je suis passé à autre chose. Je ne suis pas dans la nostalgie. Je continue à aider ma ville, là où je suis, depuis la région. On est dans le temps de l’action avec Benoît Payan. Je ne suis pas son adversaire. Et il a besoin de moi, la ville a besoin de la région.
Ne l’appelez plus jamais Paca
Je ne veux plus qu’on dise Paca. Paca, ça ne veut rien dire. C’est un acronyme. C’est comme si on disait IDF pour l’Ile-de-France. Pourquoi j’insiste sur la région Sud ? C’est parce que nous sommes des gens du Sud.
Et c’est pour ramener les trois marques qui font l’identité de notre région : Provence Alpes Côte d’Azur.
Ce mandat de président de région est une forme de résurrection politique, c’est vrai. J’avais tout arrêté et j’avais même repris mes activités de médecin. Un jour, Jean-François Copé, chef du parti, m’appelle. Il cherche une tête de liste dans le grand Sud-Est face à Jean-Marie Le Pen pour les élections européennes. Ce jour-là, il me remet un coup de drogue. Je me dis c’est un match fantastique et je replonge.
Lors de l’élection, je fais jeu égal avec Jean-Marie Le Pen, ce qui est plutôt pas mal, et je deviens donc député européen. Je découvre Bruxelles. La machine européenne est souvent décriée. Mais c’est une expérience fantastique pendant laquelle je représente mon pays, ma région.
Et puis après, je pars au combat aux élections régionales, cette fois contre Marion Maréchal-Le Pen. Au second tour, j’organise le retrait de Christophe Castaner pour notre liste et, après le drame de Nice et l’attentat affreux, Christian Estrosi a décidé de retourner à Nice. Voilà… en cinq ans, tout a changé… Je n’étais plus rien. Et aujourd’hui, je suis président de la région Sud et président de Régions de France.
Les régions et l’Etat
La crise a révélé l’importance des régions et les présidents de région ont tous été à la manœuvre pour venir aider. On s’entend très bien entre présidents de région, quelles que soient nos sensibilités. Même s’il y a de sacrés animaux politiques et d’anciens ministres qui connaissent bien la mécanique d’État. Ce sont des grands serviteurs de leur région.
Incontestablement, aujourd’hui, j’ai plus de responsabilités qu’un ministre. Quand on est président de région, on s’appuie sur la force de son propre conseil régional. Alors qu’un ministre se retrouve sous l’autorité du Premier ministre, écrabouillé par le président de la République, ligoté par sa propre administration qui ne lui laisse aucune marge de manœuvre, coincé par un Parlement qui l’empêche de faire ce qu’il veut.
Le président de la République respecte les régions bien sûr, mais en fonction des circonstances. Ça dépend si ça l’arrange ou pas. L’évolution européenne montre que les régions prennent partout de plus en plus d’importance. Regarder les länder, les communautés autonomes espagnoles… Et personne ne dit dans ces pays qu’il y a de grands barons locaux qui gênent l’action de l’État.
La vérité c’est qu’en France, un certain nombre de hauts fonctionnaires qui ont tous fait l’ENA n’acceptent pas que des gens du Sud avec l’accent qui ont fait médecine viennent leur expliquer ce qu’il faut faire.
Missi dominici
Quand j’étais ministre, secrétaire d’État auprès de Dominique de Villepin plus exactement, il a fallu que je m’impose. Même avec lui qui est devenu depuis mon ami. Au début, on me faisait accueillir les personnalités à l’aéroport. J’ai refusé. J’ai dit, je ne suis pas chauffeur. Lors de la conférence des ambassadeurs, j’ai réussi à m’imposer en disant la phrase suivante : “Vous vous demandez sans doute ce que je fais ici. C’est simple. Dominique de Villepin fait tout, et moi je fais le reste.”
C’est comme ça que je suis devenu le missi dominici du président Chirac et de Dominique de Villepin dans ce moment très particulier où la France s’est opposée à la guerre en Irak. Et notamment au moment du discours historique de Dominique de Villepin au Conseil de sécurité de l’ONU. Je me trouvais juste derrière lui.
À l’époque, j’avais quelques états d’âme, c’est vrai, car ma grand-mère était américaine et je me retrouvais à voter avec les Russes à l’ONU. Quand j’en ai parlé au président Chirac, il m’a décrit le monde tel qu’il serait, si la guerre en Irak avait lieu. Malheureusement, il ne s’est pas beaucoup trompé.
Les marcheurs et l’Assemblée
D’un président à l’autre… Emmanuel Macron a réussi à être élu en sortant de nulle part. Moi je dis respect. Est-ce que c’est dû à son intelligence, son habileté ? On ne peut pas arriver là sans une grande détermination, une grande volonté et une grande intelligence.
Après, il a créé son propre parti, son propre mouvement dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est… hétéroclite. Je ne dis pas que les marcheurs ne sont pas intelligents ou incompétents. Mais ils manquent d’expérience politique. Dans le Parlement d’aujourd’hui, vous avez une majorité de marcheurs qui n’ont jamais eu d’expérience locale. Et Emmanuel Macron non plus d’ailleurs.
« L’Assemblée nationale, c’est un club d’amis. Vous allez à la buvette, tout le monde se tutoie, c’est sympathique, mais ça ne vous permet pas vraiment de comprendre la souffrance du monde… Et vous ne pouvez pas organiser les affaires du pays si vous ne savez pas ce qu’il se passe dans votre quartier. »
L’Assemblée nationale, c’est un club d’amis. Vous allez à la buvette, tout le monde se tutoie, c’est sympathique, mais ça ne vous permet pas vraiment de comprendre la souffrance du monde… Et vous ne pouvez pas organiser les affaires du pays si vous ne savez pas ce qu’il se passe dans votre quartier.
Décentralisation par la co-construction
Il faut plus de décentralisation. Il faut que l’État, qui est pauvre, qui n’a plus de moyens, se recentre sur ses compétences régaliennes. Tout ce qui concerne la proximité doit être géré par les régions. Dans la crise sanitaire que nous connaissons, nous constatons chaque jour qu’il y a des dysfonctionnements majeurs dans l’action de l’État.<
En matière sanitaire, il faut que nous soyons au moins associés à la décision. Et que nous puissions co-construire avec l’État des stratégies sanitaires. Il faut faire confiance aux autres. C’est aussi simple que ça. Le problème c’est l’administration centrale qui fait des doctrines, qui produit des règles qui ne sont pas adaptées à la réalité du terrain.
J’ai la passion de faire les choses. Je ne sais pas si je gagnerai les prochaines élections régionales parce que toutes sortes de forces maléfiques essaieront de me faire tomber. Le Conseil économique et social européen a désigné six régions d’Europe comme faisant partie de celles qui ont le mieux traversé la crise, et on en fait partie. Nous sommes même la seule région française. Je sais bien qu’on n’est pas élus sur un bilan mais quand même… Dans la tempête c’est là qu’on voit les marins… C’est peut-être un réflexe d’amiral chez moi.
Mon joueur de foot préféré ?
Kylian Mbappé. Parce que ça me fait penser à Didier Raoult qui dit qu’il est le Mbappé de la médecine.
Ma couleur préférée ?
Le rouge. Je suis un taureau de signe. C’est le sens, la vie. J’adore la belle corrida.
La chanson que j’aime chanter sous la douche ?
‘Born to be alive’
Une phrase fétiche ?
Mandela : “Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends”
Le personnage historique avec lequel je souhaiterais dialoguer ?
Chirac. J’aimerais lui demander comment il aurait géré l’année 2020. Je suis sûr qu’il aurait fait preuve de plus d’humanité, en prenant plus de distance avec les scientifiques et les médecins.
Mon livre de chevet ?
‘L’art de la guerre’ de Sun Tzu pour la stratégie.
Mon plat préféré ?
Le gigot d’agneau de Sisteron.
L’empreinte que vous aimeriez laisser ?
Je ne suis pas sûr de pouvoir en laisser une, ou même de vouloir en laisser une. Mais je voudrais que mes amis et ma famille pensent que j’ai été un mec bien, sur qui on peut compter.