Avocate pénaliste, Julia Minkowski a débarqué au studio de bon matin, sa robe d’avocate planquée dans son sac pour la séance photo, enthousiaste et curieuse.
Autrice du livre « L’avocat était une femme » avec sa partenaire de plume Lisa Vigonli, elle met en avant 9 femmes qui se souviennent de l’affaire qui jusqu’ici à marquer leur carrière. Souvent dans l’ombre des projecteurs, dans un monde pavé d’hommes en robes longues qui foulent le marbre des palais de justice, leurs voix graves et impressionnantes, leurs charismes sans « égal » résonnent entre les murs des assises.
Julia Minkowski décortique la profession et nous partage sa passion pour la justice. Elle a choisit de ne pas la rendre, mais de se placer du côté de la défense.
Comment peut-on défendre n’importe qui ? Comment peut-on faire abstraction des faits ? Comment en vient-on à devenir avocate ?
« Il y a toujours quelque chose qui explique, sans justifier, pourquoi une personne en est arrivée là »
Tendez-l’oreille…
Extraits du podcast ‘Dans l’oreille de Charles’, série ‘femmes d’influence’,
Interview menée par Marine Peltier
“L’avocat était une femme”
J’ai rencontré la journaliste Lisa Vignoli, ma co-autrice, en 2015. À l’époque, elle travaillait un article titré “Les avocates des diables”. Le sujet portait sur des femmes avocates qui ont défendu des hommes qui s’en sont pris à des femmes, et je venais de défendre un ostéopathe qui était poursuivi par dix-huit plaignantes pour des faits de violences sexuelles, d’agressions et de viols.
Quelques années plus tard, j’ai souhaité faire naître ce livre en partant d’un constat : les femmes pénalistes, contrairement à leurs confrères masculins, n’écrivent jamais “Ma vie, mon œuvre” et c’est bien dommage…
« Les femmes pénalistes, contrairement à leurs confrères masculins, n’écrivent jamais “Ma vie, mon œuvre” et c’est bien dommage… »
J’ai créé le ‘Club des femmes pénalistes’ en 2013. Je cherche depuis longtemps un moyen de changer l’image d’Épinal qu’ont les gens de l’avocat pénaliste, qui serait forcément un homme, de préférence de stature assez imposante, avec une grosse voix. Ce livre s’inscrit dans ce prolongement et très naturellement, j’ai demandé à Lisa de l’écrire avec moi.
L’égalité femmes-hommes aux portes des palais ?
Le métier d’avocat n’est vraiment pas à l’avant-garde de l’égalité femmes-hommes. Il est resté très traditionnel. Les plaidoiries ont lieu dans des lieux anciens, les expressions utilisées sont surannées, la modernité a du mal à passer la porte de ces palais. J’ai recueilli tant de témoignages de misogynie que les avocates subissent au quotidien… Aujourd’hui, une femme avocate doit davantage prouver sa compétence qu’un homme avocat.
C’était déjà le cas à l’époque de Gisèle Halimi. Elle avait voix au chapitre puisqu’elle s’occupait des questions de ‘bonnes femmes’, telles que le droit à l’avortement ou encore la criminalisation du viol. Les hommes lui ont fait de la place car elle était militante féministe mais ses qualités d’avocate en tant que telles n’étaient pas reconnues.
Aujourd’hui, les choses ont changé. Jacqueline Laffont, qui témoigne dans ce livre, a notamment défendu seule Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, au procès Bismuth. Jamais une femme n’avait été seule à la barre dans une affaire aussi retentissante, et pour défendre le principal prévenu ! Symboliquement, c’est fort. Le combat n’est pas terminé, mais il est en nette progression, heureusement.
« La misogynie, je suis totalement nulle pour y répondre. Je n’ai aucune répartie, j’ai en général un petit rire gêné… C’est seulement après que je pense à la réponse parfaite que j’aurais pu avoir »
Je n’ai jamais vécu la misogynie au cabinet, bien au contraire. En revanche, je l’ai vécu avec des clients, des magistrats ou encore d’autres confrères, et je suis totalement nulle pour y répondre. Je n’ai aucune répartie car suis toujours tellement étonnée que j’ai en général un petit rire gêné… C’est seulement après que je pense à la réponse parfaite que j’aurais pu avoir. J’admire beaucoup des femmes comme Marlène Schiappa qui, sur un plateau, ne se laissent jamais démonter par ce genre de réflexions et ont toujours la bonne réponse et le bon réflexe.
Club des femmes pénalistes
J’ai créé le Club des femmes pénalistes en 2013 avec des consœurs, Rachel Lindon, Capucine de Rohan-Chabot et Jennifer Denning. Nous avions ce sentiment d’avoir moins facilement accès aux dossiers, que les clients préféraient avoir un avocat qu’une avocate. Beaucoup de consœurs notamment, au bout de dix ans de barreau, abandonnaient le pénal parce qu’elles n’arrivaient pas à faire leur trou. Un jour, nous avons vu passer l’interview d’un avocat de Bordeaux, dans le cadre d’élections au bâtonnat où une femme se présentait, qui expliquait qu’une femme ne pouvait pas être bâtonnier parce que les choses sérieuses comme le pénal étaient réservées aux hommes. Il expliquait face caméra qu’une jeune femme avocate pénaliste, cela n’existe pas parce qu’entre autres, elle n’a pas les épaules ni la voix.
Suite à cet événement, nous avons publié une tribune puis nous avons décidé de fonder ce club.
Avocate, un métier de sens
Les avocats pénalistes sont des personnes très engagées et très humaines. Parce que nous faisons souvent face à des situations dramatiques, il est nécessaire de travailler avec des gens avec lesquels on partage beaucoup de valeurs. C’est très précieux pour moi. Par ailleurs, je suis ravie de participer, par mon travail, à cette garantie démocratique, et d’avoir un métier qui a un sens.
« Aider des gens, est quelque chose de très satisfaisant. Je crois en outre que le métier d’avocat est très flatteur pour l’ego »
C’est un métier qui change tout le temps car chaque affaire est différente, il est impossible de s’ennuyer. J’aime étudier les dossiers pour trouver, dans les faits ou dans la procédure, ce que personne n’a vu. J’aime préparer mon client et construire une relation qui dure sur plusieurs d’années. Puis évidemment, j’aime être dans la salle d’audience, plaider. Aider des gens, c’est quelque chose de très satisfaisant. Je crois en outre que le métier d’avocat est très flatteur pour l’ego.
Plaider, une activité d’homme ?
L’exercice de la plaidoirie est un véritable exercice oratoire. Pendant longtemps, le bruit a couru que cet exercice était fait pour les hommes car il leur est plus facile de poser leur voix et de se faire entendre. Les métiers de parole sont compliqués pour les femmes, car il existe tout un tas d’a priori liés au timbre de voix des femmes. Il en est d’ailleurs de même en politique ! La femme sera taxée de folle, d’hystérique, de maîtresse d’école… C’est en raison de tous ces préjugés que l’on entend moins les femmes s’exprimer en public. Mais il est tout à fait possible pour les femmes de se faire entendre, d’autant plus que ce n’est pas celui qui apparaît le plus fort qui a forcément raison.
Françoise Cotta est une avocate pénaliste qui avait déjà il y a plusieurs années son cabinet ce qui était, jusqu’à très récemment, extrêmement rare. Je l’ai vue plaider et elle avait justement pris le contre-pied de ces grandes plaidoiries. Elle parlait dans la confidence avec les magistrats, elle s’approchait et parlait volontairement assez doucement, elle racontait des histoires. C’était sa façon de défendre et c’était intelligent parce qu’en plaidant totalement différemment, on ne pouvait pas la comparer. Aujourd’hui, la plaidoirie grandiloquente est passée de mode et presque ringarde.
J’essaie de ne pas trop m’emporter, ce qui n’est pas évident. En effet, quand vous êtes dans un prétoire, et particulièrement en défense, vous avez le sentiment de faire face à tellement d’injustices, d’incompréhensions et de préjugés que votre rôle est de lutter contre cela ! Plaider demande beaucoup de sang-froid. Ce que l’on ressent à l’intérieur est très fort, une espèce de colère monte en vous, parfois une envie de pleurer…
Enfant gâtée
J’ai eu une enfance d’enfant gâtée. J’ai vécu dans des beaux quartiers, dans une famille intellectuelle de gauche. Mes parents étaient très engagés en 68. Mon grand-père était médecin, lui aussi très engagé dans la société. Il a écrit tout un tas de bouquins et témoigné dans des procès pour défendre le droit à l’avortement.
Mon enfance était à peu près paisible bien que mes parents se soient séparés quand j’étais très petite, ce qui laisse quand même des traces. Mais très vite, ils se sont chacun remariés et je suis passée de fille unique à une fratrie de sept frères et sœurs !
« J’ai vécu dans des beaux quartiers, dans une famille intellectuelle de gauche. Mes deux parents sont très différents mais j’ai hérité de chacun d’eux cette valeur de l’engagement »
Mes deux parents sont très différents mais j’ai hérité de chacun d’eux cette valeur de l’engagement. Ma mère m’a transmis vraiment la bonté et mon beau-père le goût du débat. De son côté, mon père m’a transmis plus de fantaisie. Il a eu trois femmes et cinq enfants ! Il a toujours eu une façon de penser assez originale, et j’en ai probablement hérité. Enfin, je dois mon engagement féministe à ma mère et à ma grand-mère. À son époque, ma mère était militante féministe et nous avons vécu toutes les deux pendant quelques années, nous partions l’été en voiture en Espagne. De vivre cela enfant et de voir que votre mère s’occupe très bien de vous toute seule, vous emmène aussi loin – ce qui paraissait à l’époque le bout du monde – il m’était impossible d’imaginer que les femmes seraient moins fortes que les hommes. Par ailleurs, mes grands-mères, sans être féministes en tant que telles, étaient des femmes très libres et ont fait des choix amoureux qui pour l’époque pouvaient étonner.
Tempête médiatique
Pendant très longtemps, mes affaires sortaient dès lors que vous tapiez mon nom sur Google. Depuis le début de l’aventure du mouvement En marche !, je suis devenue “la femme de” [Benjamin Griveaux, ndlr] sur Wikipedia. Il n’est même pas précisé que je suis avocate ! C’est une drôle de façon de présenter les gens dans la société… Aujourd’hui en particulier, j’ai écrit ce livre pour mettre les femmes avocates en lumière mais certaines personnes me désignent comme la femme de Benjamin : c’est une sorte de mise en abyme de mon récit !
« Je n’ai même pas de compte Twitter ! C’est à mes yeux le réseau social le plus malveillant qui soit »
Cela fait également partie du jeu politique, où la personne mise en lumière donne un peu de sa vie privée. Personnellement, j’ai refusé la tempête médiatique. Je n’ai rien regardé ni même acheté un journal, rien du tout. Je n’étais pas dans le déni mais dans le refus. Je n’ai même pas de compte Twitter ! C’est à mes yeux le réseau social le plus malveillant qui soit. J’ai la chance, par mon métier, de bien maîtriser la portée des choses. Je travaille d’ailleurs souvent avec Anne Hommel, une communicante qui a créé un outil qui s’appelle “Lucy” dont l’objectif est de mesurer l’audience de Twitter. Cet outil calcule combien de personnes sont touchées par un tweet. La cible est-elle grand public ou représente-t-elle quelques personnes d’un groupuscule très spécifique ? Ces données sont très importantes car selon ces résultats, certains tweets ont beaucoup plus d’impact que d’autres.
Je crois vraiment qu’il faut se protéger. J’ai tellement dit ça à mes clients que c’était forcément plus facile pour moi d’y arriver.
Toute personne est-elle défendable ?
Je ne crois pas qu’on puisse défendre n’importe qui. En revanche, personne ne peut pas avoir de présupposés ou de règles de conduite préétablies comme “jamais je ne défendrais un pédo-criminel” ou encore “jamais je ne défendrai un terroriste”. Dans mon livre, Frédéric Ponces explique “Je voulais voir Guy Georges pour voir s’il était sympathique”. Cela peut paraître étonnant mais c’est assez juste ! Il est toujours possible de défendre quelqu’un dès lors que l’on trouve un petit quelque chose auquel se raccrocher. Cela peut être parce qu’on apprécie cette personne ou parce que l’affaire vous est venue par un biais qui vous a touché. Tout est une question de circonstances. Évidemment, il y a également des choses dans votre vie qui font que vous ne pourrez défendre certains délits ou crimes pour ne pas blesser vos proches…
« Il existe une espèce de conflit à être avocate, féministe et à défendre des hommes qui s’en prennent à des femmes. En réalité, quand vous mettez votre robe d’avocat, vous n’êtes plus une femme ou un homme, vous essayez de vous effacer du mieux que vous pouvez »
Il existe une espèce de conflit à être avocate, féministe et à défendre des hommes qui s’en prennent à des femmes. En réalité, quand vous mettez votre robe d’avocat, vous n’êtes plus une femme ou un homme, vous essayez de vous effacer du mieux que vous pouvez. Il est impossible d’exercer cette profession si vous n’êtes pas animé d’un but d’humanité absolu. Il faut garder pour principe qu’aussi monstrueux que soit l’acte commis ou prétendument commis, l’homme n’en reste pas moins humain. Nous défendons toujours des hommes et jamais des causes. Défendre un violeur ne signifie pas défendre le viol !
Frédérique Baulieu, qui a défendu Dominique Strauss-Kahn, explique souvent que certains de ses amis se sont retournés contre elle à l’époque. Pour nous avocats, c’est au contraire un honneur de pouvoir défendre tous les citoyens. Les avocats sont une garantie démocratique. Si l’on considérait que certaines personnes ne sont pas défendables, cela serait de l’ordre de l’arbitraire.