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Marie-Claude Kervella-Boux : “Si je n’avais pas rencontré la franc-maçonnerie, j’aurais eu l’esprit moins ouvert”
Marie-Claude Kervella-Boux, présidente de la Grande loge féminine de France - Photos par Olivier Roller

par Thomas Thévenoud

L’avocat, Ecoutons la présidente de la grande loge féminine de France parler franchement de maçonnerie.

Marie-Claude Kervella-Boux, présidente de la grande loge féminine de France est venue nous parler de la franc-maçonnerie.

A plus de 70 ans, elle a une énergie communicative et un humour qui a des airs de malice. Bienveillance et pédagogie sont les maîtres mots de cette interview. La Franc-maçonnerie dans ses yeux a des allures de révélation, elle l’a sauvé en quelque sorte. Sa vie sans elle aurait été différente.

Elle conjugue féminisme au présent mais aussi au passé. Un long chemin vers l’égalité où « Rien n’est jamais acquis pour les femmes ».

Passage sous le bandeau, obédience, fraternité, chaîne d’union, serment, temple… Tout un vocabulaire que l’on pourrait attribuer au pouvoir religieux et pourtant… Marie-Claude Kervella-Boux lève le voile sur cette vision traditionnelle et extérieure de la Franc Maçonnerie.

« La maçonnerie est un courant de pensée qui est complètement adogmatique »

Tendez l’oreille…

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Extraits du podcast ‘Dans l’oreille de Charles’, série ‘femmes d’influence’,
Interview menée par Marine Peltier

Comme tout le monde, nous avons été prises de court par cette pandémie et amenées à imaginer des choses qui, quelque part, sont assez inimaginables en maçonnerie. Heureusement, nous avons dès le début de la crise sanitaire eu le réflexe de travailler ensemble entre obédiences puisque nous étions face aux mêmes difficultés, et nous nous sommes adaptés.

Un protocole sanitaire strict est désormais établi pour l’organisation de tenues en présentiel lorsque cela est possible. Par ailleurs, à défaut de tenues, nous organisons des rencontres régulières en visioconférence afin de garder le contact et de poursuivre les échanges.

Premiers pas en maçonnerie

J’avais 29 ans quand je suis entrée en maçonnerie à Nevers. J’ai connu la maçonnerie grâce à mon beau-père, qui était lui-même franc-maçon. À l’époque, j’étais vraiment fascinée de voir ces hommes d’origines très différentes qui, lors des repas que l’on faisait en famille, discutaient entre eux avec beaucoup de respect, de passion et une très forte amitié les uns avec les autres. Cela m’a donné envie de savoir ce qu’était la maçonnerie.

Traditionnellement, on pense qu’on entre en maçonnerie uniquement par cooptation. Mais nous avons également un site internet qui est très visité. En cette période de repli et de recentrage sur soi-même, nous enregistrons plus de demandes qu’à l’habitude pour nous rejoindre. Il est possible d’aller vers les futurs maçons pour leur proposer l’entrée, mais ils peuvent aussi eux-mêmes frapper à la porte du temple pour nous rejoindre.

« En cette période de repli et de recentrage sur soi-même, nous enregistrons plus de demandes qu’à l’habitude pour nous rejoindre »

La Grande loge féminine de France est une obédience strictement féminine, mais il existe également des obédiences mixtes, ou encore masculines. Pour ma part, j’avais l’intention de faire l’expérience d’une obédience mono-genre. Nous travaillons par ailleurs avec l’ensemble des obédiences mixtes ou masculines qui, dans leurs statuts, peuvent travailler avec les femmes. Des réunions entre grands maîtres ont régulièrement lieu et nous organisons parfois des réunions et tenues communes à plusieurs obédiences, afin de travailler ensemble sur différents sujets.

La maçonnerie m’a apporté ce besoin d’ouverture, d’écoute et de travail avec les autres. Je ne sais pas comment j’aurais été si je n’avais pas rencontré la maçonnerie, mais je crois que j’aurais eu l’esprit moins ouvert. Je n’aurais certainement pas été très tolérante.

Passage sous le bandeau

Il existe quelques étapes préalables à l’entrée en maçonnerie. C’est d’abord une rencontre avec la présidente de l’association locale qui s’assure que la personne va trouver ce qu’elle cherche en nous rejoignant.

Marie-Claude-Kervella-BouxEnsuite, c’est la rencontre avec trois femmes, trois sœurs de l’association, avec qui l’on parle de notre parcours personnel, de nous et de nos choix de vie. Les échanges portent également sur les raisons qui nous poussent à vouloir entrer en maçonnerie, ce que l’on pense y trouver et y apporter. Ces rencontres seront rapportées en loge sous forme de “rapports”. Le passage sous le bandeau représente l’ultime étape avant de savoir si l’on va pouvoir entrer en maçonnerie ou non.

Lorsque je suis entrée, je venais juste de divorcer. Je n’oublierai jamais la première question que l’on m’a posée, de manière très solennelle et avec une voix qui venait presque d’outre-tombe : “Madame, considérez-vous votre divorce comme un échec ?” Je ne m’attendais pas du tout à cela !

Une fois entré, il est possible de partir quand on le veut et comme on le veut. La maçonnerie, ce n’est pas être pieds et poings liés à une association. Comme dans toute association, nous nous engageons à respecter un certain nombre de valeurs, telles que celles de la non-discrimination par rapport au sexe, à l’origine, à la race. Si l’une des membres transgresse cela, des procédures peuvent être mises en place afin de demander leur exclusion.

Enfance humaniste

J’ai vécu une enfance très heureuse. J’étais fille unique, choyée par des parents pourtant séparés, ce qui était rare pour l’époque. Pour ma part, j’y voyais beaucoup de choses très positives, comme le fait de pouvoir passer du temps seule avec chaque parent. J’ai grandi à Paris, entourée et dans une certaine ouverture d’esprit.

À la maison, on aimait beaucoup discuter, mais les conversations portaient sur des orientations humanistes plutôt que sur la politique. Je me souviens que la construction européenne était un vrai sujet de débat !

Ma mère et ma grand-mère étaient également profondément féministes. C’est en sortant du cocon familial que j’ai découvert que les hommes et les femmes pouvaient ne pas être égaux dans certains milieux. Cela me semblait tellement loin de ce que j’avais vécu dans ma vie de tous les jours…

Secret ou discrétion ?

Le secret maçonnique n’existe pas. Vous trouverez notamment sur Internet l’intégralité des rituels ou encore de nombreux ouvrages qui expliquent la maçonnerie. Je crois que le secret réside dans quelque chose qui est plutôt indicible : ce que l’on vit quand on est en maçonnerie. Par exemple, l’initiation est un moment très fort. C’est un moment où l’on est intégrée dans un groupe avec un rituel impressionnant, fait pour interpeller la personne qui entre. C’est le secret maçonnique : c’est au fond de nous et on ne peut le divulguer.

Par ailleurs, on a le droit de dire que l’on est franc-maçon ! La seule chose à laquelle on s’engage, c’est de ne pas révéler l’autre. C’est une autre forme de secret.

« On a le droit de dire que l’on est franc-maçon ! La seule chose à laquelle on s’engage, c’est de ne pas révéler l’autre. C’est une autre forme de secret »

Les fantasmes autour de la maçonnerie existent toujours. Notre obédience tâche depuis maintenant plusieurs années d’aller à la rencontre du grand public. En tant que grande maîtresse, je participe régulièrement à des conférences publiques afin d’effacer un certain nombre d’idées toutes faites qui existent sur la maçonnerie. Le but est également de démystifier la maçonnerie en expliquant qui on est, ce que l’on fait en loge, sur quoi on travaille.

La fraternité, un vrai travail

La fraternité ne va pas de soi. C’est considérer que la personne en face de soi est son frère ou sa sœur, son alter ego, un être ni inférieur ni supérieur. La fraternité se travaille. C’est différent de l’amitié ou de l’amour, cela n’a rien à voir. Il est possible d’être fraternelle avec quelqu’un sans être forcément ami(e). C’est assez intellectuel la fraternité, tout compte fait.

« La fraternité, c’est considérer que la personne en face de soi est son frère ou sa sœur, son alter ego, un être ni inférieur ni supérieur. La fraternité se travaille. C’est différent de l’amitié ou de l’amour. C’est assez intellectuel »

La fraternité, c’est déjà de respecter l’autre. Par exemple, dans nos tenues, le rituel permet de prendre la parole chacune notre tour et de la demander. Avant, nous sommes tenues de ne pas couper la parole à l’autre. Cela signifie que quelqu’un qui s’exprime peut aller au bout de ce qu’il a à dire.

Féminisme et laïcité

J’ai été amenée, dans ma vie syndicale notamment, à beaucoup travailler sur l’égalité hommes-femmes. Malheureusement, le plafond de verre dont tout le monde parle existe vraiment, y compris dans la fonction publique ! Par exemple, à niveau d’études égal, les infirmières auront des salaires inférieurs à ceux des infirmiers de leur niveau… Je crois qu’encore plus aujourd’hui, rien n’est jamais acquis pour les femmes.

Dans notre loge, certaines de nos sœurs sont très féministes alors que d’autres sont moins militantes. Nous travaillons beaucoup sur les sujets relatifs aux droits des femmes.

« La laïcité est le garant de la liberté et de l’émancipation des femmes. C’est la laïcité qui peut protéger les femmes du patriarcat »

Un autre sujet particulièrement essentiel est celui de la laïcité : nous travaillons beaucoup sur ces questions. Nous sommes persuadées que la laïcité est le garant de la liberté et de l’émancipation des femmes. C’est la laïcité qui peut protéger les femmes du patriarcat, quelles que soient leur origine sociale et leur religion. Les principes laïques et leur respect leur permettent d’avoir cet espace de liberté, d’évolution et d’émancipation.

Finalement, la laïcité, c’est faire que chacun puisse vivre librement sa spiritualité, tout en étant vigilants de ne pas l’imposer aux autres.

Pouvoir d’influence

Les francs-maçons ont forcément des choses à dire parce qu’ils sont très attentifs au respect d’un certain nombre de valeurs. C’est en ce sens que les francs-maçons ont une certaine influence, bien que ce terme me gêne.

Marie-Claude Kervella-Boux
« Les francs-maçons ont forcément des choses à dire parce qu’ils sont très attentifs au respect d’un certain nombre de valeurs. C’est en ce sens que les francs-maçons ont une certaine influence »

Nous sommes, avec les autres obédiences et en tant que courant de pensée, régulièrement auditionnées à l’Assemblée nationale et au Sénat, ou encore par le président de la République ou différents ministres en fonction des sujets traités.

Nous sommes très attentifs à ce que contiennent ces projets de loi, afin que rien ne puisse porter préjudice à la maçonnerie, certes, mais également à l’individu en général, et aux femmes en particulier.

Questionnaire de Charles

Les trois idées reçues les plus fausses sur la franc-maçonnerie ?
Secte, affairisme et complot.

Les plus vraies ?
Fraternité, travail et spiritualité.

Avec quoi faites-vous rimer le mot liberté ?
Égalité, fraternité.

Plutôt Gisèle Halimi ou Simone de Beauvoir ?
Au nom de notre obédience, je crois que l’une comme l’autre recevrait autant de suffrages pour des raisons très différentes.

Une chose que vous souhaiteriez effacer de notre histoire ?
La stigmatisation de l’autre.

Écriture inclusive : pour ou contre ?
Je crois que n’est pas indispensable. Il faut être capable de comprendre que la grammaire et les règles de grammaire ne sont pas les règles de vie. Il ne faut pas confondre les mots avec les idées.

Un mot définit votre engagement ?
L’espoir.

Plutôt Louise Michel ou Madeleine Pelletier ?
Louise Michel !

Est-ce que Macron est franc-maçon ?
Il ne me l’a pas dit.

La franc-maçonnerie est-elle de gauche ?
La franc-maçonnerie est apolitique. Il existe des valeurs à droite comme à gauche, sauf aux extrêmes qui n’ont plus de valeurs acceptables pour la maçonnerie.

Peut-on être trop féministe ?
Je ne sais pas si on peut être trop quelque chose…

Votre plus grande peur lorsque vous étiez enfant ?
La solitude.

Une valeur que vous avez transmise à votre fils ?
Le respect de l’autre.

La première chose que vous aimeriez faire quand cette crise sanitaire sera terminée ?
Voyager ! Ne plus pouvoir prendre l’avion pour aller rencontrer mes sœurs d’Afrique, c’est terrible. Je devais également dans quelques jours partir pour créer une nouvelle obédience en Serbie, mais nous n’irons malheureusement pas.
La GLFF a créé il y a de nombreuses années une association, le “Comité de liaison internationale de la maçonnerie féminine”, qui regroupe dix obédiences. Cette année, la rencontre annuelle aura lieu virtuellement.
Je sais maintenant que je terminerai mon mandat avec cette forme de repli sur soi et c’est vraiment là un grand regret.

Une franc-maçonne prend sa retraite ou est-elle franc-maçonne jusqu’à la fin ?
Une fois initiée et maçonne, on le reste.

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