C’est avec le sourire et l’air enjoué que Nathalie Loiseau, députée européenne La République En Marche, diplomate, ancienne Ministre chargée des Affaires européennes et ancienne directrice de l’ENA, est arrivée au studio. Sur un air de plaisanterie elle s’est livrée avec bonne humeur à l’exercice de photos face à l’objectif d’Olivier Roller, notre cher et tendre photographe !
D’une assurance assumée, Nathalie Loiseau ne s’embarrasse pas des « Qu’en dira t-on? ». Là où certains préfèrent les chemins tortueux, elle préfère la ligne droite. Son franc-parler et son discours direct ne laissent pas de place pour les courbettes. Elle n’est pas là pour faire plante verte, ni pour servir les cafés.
Ensemble nous revenons sur son parcours, ses engagements et sa vision du pouvoir.
« Soit on s’excuse d’être là, soit on en fait un atout »
Tendez l’oreille…
Extraits du podcast ‘Dans l’oreille de Charles’, série ‘femmes d’influence’,
Interview menée par Marine Peltier
Rêves d’enfant
Petite, je n’avais pas d’ambition mais un énorme appétit. J’étais curieuse d’absolument tout, cela reste probablement ma principale qualité. C’est aussi mon principal défaut car le risque de se disperser existe quand vous êtes attirée par des sujets très différents. Je voulais par-dessus tout apprendre “toutes les langues étrangères”, ce qui montrait que j’avais déjà le sens de la mesure ! Mais surtout l’envie de voir le monde et de le découvrir.
Tout cela n’était pas particulièrement encouragé par mes parents, qui avaient une vision gentiment traditionnelle de la place de la femme… Ils portaient d’ailleurs toute leur attention sur mon grand frère, le garçon de la famille. C’était pour moi une liberté formidable puisque je ne les intéressais pas tant que ça, je pouvais donc faire à peu près ce que je voulais – et c’est ce que j’ai fait !
Rue Saint-Guillaume
Je suis allée à Sciences Po complètement par hasard, je ne savais même pas que le concours existait ! À l’époque, je ne savais pas que faire de mon bac mention très bien et j’avais l’impression de ne pas avoir de culture générale. Un ami de mes parents m’a donc conseillé d’aller à Sciences Po. J’y ai appris beaucoup de choses, mais j’y ai également découvert un univers qui m’était complètement inconnu, celui du conformisme bourgeois parisien…
“A Sciences Po, j’ai découvert un univers qui m’était complètement inconnu, celui du conformisme bourgeois parisien… Cela m’a tout de suite donné envie d’aller respirer l’air ailleurs”
Cela m’a tout de suite donné envie d’aller respirer l’air ailleurs et comme je voulais parler toutes les langues de la planète, je suis partie à Langues O’ (INALCO) apprendre le chinois et l’indonésien. Étudiante, j’étais la bonne élève du fond de la classe. J’apprenais vite : j’ai cette chance, j’ai une très bonne mémoire. En parallèle, j’avais aussi très envie de m’amuser, de faire rire les autres.
Au Quai d’Orsay
J’avais étudié à Sciences Po et Langues O’, et je ne savais pas très bien ce que j’allais faire de tout ça, j’avais même commencé à travailler dans la mode parce que ça m’amusait !
Je suis entrée au Quai d’Orsay à 22 ans, sur les conseils d’un parent qui avait été diplomate et m’a dit que j’étais faite pour cela. C’est une chance que j’ai eue de recevoir ce conseil. Les autres vous voient parfois mieux que vous ne vous voyez vous-même !
Entendre un tel conseil, c’était quelque part recevoir l’autorisation de se projeter dans un concours extrêmement difficile, une carrière très particulière qui n’était pas réputée faite pour les femmes.
C’est un milieu masculin, mais soit on s’excuse d’être là, soit on en fait un atout. Je n’avais pas du tout envie de me justifier et d’être polie parce que j’avais assez vite réalisé que la parole ça ne se donne pas, ça se prend !
Diplomatie et vie de famille
J’ai beaucoup voyagé dans le cadre de ce métier. Je l’ai adoré, par le bain de jouvence qu’il vous donne tous les trois ans ! Vous prenez un billet d’avion, vous arrivez dans un pays où personne ne vous connaît, vous avez tout à découvrir. C’est comme effacer une ardoise et tout recommencer.
“Être diplomate, ça peut être faire de la facilitation de paix au fin fond de la Casamance au Sénégal, mais aussi partir dans le maquis enceinte jusqu’aux oreilles pour convaincre des gens de cesser le feu. C’est dans ces moments-là qu’on apprend le plus et qu’on a l’impression de faire la différence”
J’ai conçu ce métier comme une chance de ne pas rester dans un bureau, et ici dans une ambassade. D’ailleurs à chaque fois que j’entends parler des lambris dorés des ambassades, ça me donne de l’urticaire. Ça existe, cela fait partie de la fonction de représentation qu’il faut assurer et du mieux possible. Mais si ce métier se résumait à cela, il n’aurait vraiment aucun intérêt.
L’intérêt, c’est le fait que les gens d’autres cultures et d’autres civilisations vous ouvrent leurs portes, leurs cerveaux, leur cœur. Être diplomate, ça peut être faire de la facilitation de paix au fin fond de la Casamance au Sénégal, mais aussi partir dans le maquis enceinte jusqu’aux oreilles pour convaincre des gens de cesser le feu. C’est dans ces moments-là qu’on apprend le plus et qu’on a l’impression de faire la différence.
À New York
En 2002, nous sommes arrivés aux États-Unis avec mon mari et mes enfants. J’y étais alors porte-parole de l’ambassade de France. Cet épisode a été très difficile pour mes enfants. Nous arrivions d’un pays arabe, ils parlaient donc couramment cette langue et en étaient fiers. Seulement, nous sommes arrivés dans l’Amérique de Georges Bush après les attentats du 11 septembre.
La chose la moins populaire était de parler arabe ! C’était très compliqué pour des enfants de comprendre cela et de trouver leur place, ils ne voulaient même plus apprendre l’anglais.
D’un autre point de vue, nous sommes arrivés pour voir l’Amérique se préparer à entrer en guerre. Quels souvenirs ! Il n’y avait aucun doute sur les raisons de se lever le matin pour essayer de convaincre.
Je rencontrais des journalistes américains pour comprendre ce qui était en train de se passer dans la tête des dirigeants des États-Unis, c’était passionnant, même si ce n’était pas facile d’être français aux États-Unis à cette période. C’est un pays dans lequel j’ai mis plusieurs mois à trouver mes marques.
Fabrique de l’administration
La vie a plus d’imagination que nous : en octobre 2012, je suis nommée directrice de l’ENA. Former différemment, c’était un sujet qui me passionnait. J’ai réformé les concours d’entrée pour favoriser l’égalité des chances, pour être en accord avec la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui veut que les emplois publics soient accessibles à tous.
Nous avons monté une classe préparatoire à l’ENA destinée aux personnes venant de milieux particulièrement peu favorisés, avec un accompagnement sur mesure.
Par ailleurs, il fallait s’assurer que le concours en lui-même n’était pas discriminant. Cela passait donc par la formation des jurés, en leur faisant prendre conscience de leurs préjugés, ces fameux “biais cognitifs” inconscients.
Beaucoup de critiques à l’égard de cette école sont simplistes et injustes. Par exemple, cette idée que tous les énarques se ressembleraient. D’ailleurs, on sous-estime énormément l’idéalisme de beaucoup d’énarques ! D’autre part, il existe également des critiques justifiées. Je crois qu’il ne faut jamais dire à des élèves que, parce qu’ils ont réussi un concours, ce sont les meilleurs.
“Beaucoup de critiques à l’égard de cette école sont simplistes et injustes. Par exemple, cette idée que tous les énarques se ressembleraient. D’ailleurs, on sous-estime énormément l’idéalisme de beaucoup d’énarques”
Je pense que l’ENA n’a pas terminé sa mue. Mais attention : les concours de l’ENA sont ouverts aux bac+5, il faut donc également penser à réformer les autres établissements avant bac+5. J’attends une vraie réforme de Sciences Po, afin de veiller à ce que les élèves ne soient pas si formatés. Il est également indispensable que dès le stage de 3e, la petite fille qui grandit dans une zone rurale des Vosges puisse savoir que ces formations d’excellence existent et qu’elle y a le droit.
Côté politique
J’ai suivi avec fidélité et admiration Alain Juppé jusqu’à la primaire et jusqu’à son échec. Après cette défaite, ce que devenait la droite était à des années-lumière de ce que je suis. Je ne pouvais pas rentrer chez moi et rester passive quand le risque d’une élection de Marine Le Pen et de l’extrême droite planait.
J’ai su très rapidement que j’avais envie d’aider Emmanuel Macron. Je le trouvais proche de mon univers sur l’Europe, sur l’égalité des chances, sur l’ouverture à tous les possibles, et puis sur une forme d’audace !
Après l’élection, Emmanuel Macron m’a proposé de prendre la tête du ministère des Affaires étrangères et j’ai dit oui.
Par contre, quand j’ai été nommée tête de liste pour la campagne des européennes en 2019, j’ai beaucoup résisté. J’étais très catégorique, mais Emmanuel Macron est revenu vers moi à plusieurs reprises et a fait en sorte que je ne puisse plus refuser.
Les débuts ont été difficiles. Je n’avais jamais fait cela, et donc je n’avais pas les codes, ni l’appareil politique derrière moi !
Y a-t-il une personne que vous admirez profondément ?
Le pape François, parce qu’il est révolutionnaire !
Quelle est la plus jolie valeur qu’on vous ait transmise ?
La curiosité.
Vous sentez-vous française ou européenne ?
Les deux, mon général !
Quelle personne appelez-vous quand vous avez un “coup de mou” ?
Ma mère adoptive.
Y a-t-il quelque chose qui manque à votre vie ?
Le temps.
Le Brexit, c’était une bonne idée ?
C’était une catastrophe, dont nous essayons de limiter les dégâts…
Quelle qualité aimez-vous particulièrement chez Alain Juppé ?
La tendresse.
Existe-t-il quelque chose qui vous émeut automatiquement ?
Un enfant.
Que faites-vous pour lutter contre le stress ?
La cuisine.
Quand nous serons entièrement déconfinés, quelle est la première chose que vous ferez ?
Une fête !
Quelle est la question que vous posent le plus souvent vos enfants ?
Quand est-ce qu’on se voit ?
Si vous deviez vous reconvertir, quel métier choisiriez-vous ?
Sans aucune démagogie : journaliste !
Quelle est votre plus grande croyance ?
La vie a plus d’imagination que toi.
Existe-t-il quelque chose que vous aimeriez faire depuis longtemps et que vous reportez constamment ?
Finir le roman que j’ai commencé.
Quel est votre prochain challenge pour 2021 ?
Réussir à réguler les plateformes.
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