Entretien avec Jean-Pierre Mignard

Il est le parrain de deux de ses enfants, il a présidé l’association Désirs d’avenir de son ex-compagne, et a même fait travailler François dans son cabinet d’avocats. Ils se connaissent depuis trente-cinq ans. Avec Hollande, il a fondé moult clubs de réflexion. Puis, dans un Parti socialiste miné par les courants, ils ont inventé ensemble une figure de style pour le moins audacieuse : « Les Transcourants ». Dans ce long entretien, Jean-Pierre Mignard revient sur la carrière en dents de scie de son ami, et sa manière de gouverner, tout en compromis social.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARC ENDEWELD
PORTRAITS NOLWENN BROD

Comment s’est déroulée votre première rencontre avec François Hollande ? Vous étiez alors avocat chez maître Leclerc, et vous défendiez les autonomes, et lui était conseiller auprès de Jacques Attali

C’est simple, nous avions un ami en commun qui s’appelle Yves Lemoine, qui était magistrat à l’époque, maintenant en retraite. Yves avait fait son stage de l’École nationale de la magistrature à l’ambassade d’Alger alors que François y faisait son stage de l’ENA. Yves me dit un jour, c’était en 1978 : « j’ai un copain qui s’appelle François Hollande, et qui souhaite mieux comprendre la situation sociale… » À l’époque, effectivement, la situation était extrêmement agitée. On subissait les premiers plans difficiles suite à la crise énergétique. Le chômage de masse apparaissait, comme les contrats précaires. C’était l’époque des « stagiaires Barre », de la crise de la sidérurgie, des grandes manifestations Et dans celles-ci, il y avait une composante autonome très forte. C’étaient des manifestations de jeunes très qualifiés, des correcteurs typographes inscrits à la CGT du livre, des étudiants, des jeunes professionnels, de tempérament libertaire, marginaux et cultivés. Des lecteurs de Deleuze et Negri qui s’attaquaient à certains symboles de la société de consommation et de précarisation. Certaines vitrines sur les parcours en souffraient… La police était inquiète parce qu’ils étaient quand même très nombreux, déterminés et parfois violents… avec les biens. Comme avocat, je les défendais, notamment un groupe de quatre garçons qui avaient cassé les vitrines de la rue Saint-Lazare. Du côté des élites politiques et journalistiques, la même question revenait sans cesse : « Mais pourquoi les jeunes gens se mettent-ils à casser les vitrines de la rue Saint-Lazare ? ». En fait, ces jeunes critiquaient déjà les modèles de la société d’abondance, qu’ils disaient ruineux, aliénants… Le pouvoir était donc très inquiet. Giscard d’Estaing était président de la République, et la répression était très forte. Ces jeunes pouvaient écoper d’années de prison. Dans les manifestations, les altercations avec les services d’ordre et les services de police étaient très fréquentes. Ils étaient grands amateurs d’émissions de radios libres. Pour eux, la ville c’était Sherwood. Et, parfois, de jeunes ouvriers se joignaient à eux. Dans ce contexte, les équipes de François Mitterrand se préparaient à la conquête du pouvoir. Les socialistes étaient donc aussi inquiets de la situation. Certains témoignaient parfois lors des audiences, je me souviens du sénateur Parmentier ou de Pierre Joxe, et souhaitaient modérer la répression. En tout cas, ils n’acquiesçaient pas à la dureté de la réponse judiciaire. C’est à ce moment-là que je rencontre François, par l’intermédiaire de Lemoine qui savait que je les défendais, dans un petit appartement que j’avais alors place des Fêtes dans le XIXème arrondissement de Paris. François souhaitait rencontrer des jeunes autonomes. Comme je les défendais, je savais très bien qui ils étaient, où ils habitaient, où ils travaillaient… Finalement, il y a eu une longue discussion entre eux et lui. Lui voulait savoir qui ils étaient, ce qu’ils voulaient, et s’il y avait des possibilités de remise à plat pacifique de la société. Eux, voulaient apprécier jusqu’où iraient les socialistes dans la remise en question du capitalisme agressif, déjà pris à la gorge par le prix de l’énergie, de la fin des années 1970. En fait, cette rencontre significative a auguré beaucoup de choses. Car nous avons sympathisé et continué à nous voir… pour fonder de nombreux clubs politiques ! Il y en a qui font des enfants ensemble, nous, nous avons fait des clubs. L’un des premiers se réunissait boulevard Ornano, et s’est appelé, dans un premier temps, le club des Cordeliers. Il y avait déjà Michel Sapin, Jean-Pierre Jouyet, Frédérique Bredin… Les amis de François Hollande à l’ENA. Ils étaient soit partisans de Michel Rocard, soit engagés dans les groupes de travail autour de François Mitterrand, avec Jacques Attali. Et puis, il y avait des avocats, des magistrats…

À l’époque, vous n’étiez pas au PS ?

Non, pas du tout, ce n’est qu’en 1984 que j’ai adhéré au PS. En 1981, j’étais même signataire du comité de soutien à la candidature de Coluche, par provocation et amertume suite à l’échec de la candidature Rocard. Si nous nous rencontrions ensemble, c’était aussi par un effet de génération. Notre jeunesse nous rapprochait. Nous étions énarques, avocats, et pour la première fois, nous approchions de gens qui allaient peut-être prendre le pouvoir, mais qui avaient déjà le souci de rester en contact avec d’autres davantage engagés dans la société. Je ne suis pas sûr que le partage des tâches soit aussi net dans les esprits des uns et des autres mais… spontanément, c’était cela. 

Mais qu’est-ce qui fait que vous vous liez d’amitié avec François Hollande ?

Il y a une curiosité chez François Hollande qui se situe à la confluence du journaliste et du sociologue. Ce que je trouve alors très intéressant chez lui, c’est qu’il est en rupture avec les modèles politiques parlementaires classiques, et qu’il est très intéressé par ce qui se passe dans la société. Il me semble qu’il est un de ceux, parmi tous les socialistes, qui a le mieux intégré la place de la société, le rôle qu’elle joue et comment elle est autant influencée par les partis politiques que les partis politiques le sont par elle. Cela me semblait une démarche intéressante, et qui, à mes yeux, se rapprochait de celle des rocardiens. Bien qu’il soit mitterrandien… C’est même un pur mitterrandien dans la forme. C’est quelqu’un de pratique, il n’a aucune envie d’être dans l’opposition, et il pense à l’époque, nous sommes en 1979-80, que c’est le tour de Mitterrand. 

Le journaliste Serge Raffy, son biographe, dit qu’à l’époque, les énarques de son acabit, se tournent spontanément vers Rocard… Alors, pourquoi Mitterrand ?

Oui, car Rocard leur correspond mieux, Rocard est un miroir pour eux. Alors que François, lui, a déjà un vrai sens politique. Il considère que Mitterrand, candidat en 1965, qui a résisté à mai 1968, qui a fondé le nouveau Parti socialiste, est celui qui tiendra bon. Qu’on ne peut pas gagner sans le Parti communiste, et que le PCF préférera toujours Mitterrand à Rocard. De surcroît, François a une méfiance vis-à-vis de la deuxième gauche, c’est-à-dire Michel Rocard et Edmond Maire. Il les suspecte d’être trop influencés par les théories du capitalisme moderne, d’être trop complaisants. Finalement, c’est un moderne qui pense qu’être fidèle à l’Union de la gauche est une bonne chose, qu’il ne faut pas rompre avec le Parti communiste. Et puis, s’il y a tant d’énarques chez Rocard, ils sont survalorisés chez Mitterrand que l’on dit hermétique à la chose économique. 

François Hollande croit donc à l’Union de la gauche

Oui, mais curieusement, s’il est convaincu que l’Union de la gauche est le seul moyen de remporter la victoire, et même, de gouverner, il est néanmoins beaucoup plus moderne quant à l’application du programme… 

Sa curiosité le pousse d’ailleurs à s’abreuver de Gramsci.

S’abreuver est excessif, mais ce qui l’intéressait chez les autonomes, c’est qu’ils lisaient beaucoup Gramsci. François était influencé par la situation italienne à l’époque, la décrépitude du socialisme italien et la métamorphose du PCI.

Et dans le même temps, ses lectures économiques sont très orthodoxes. Il penche même du côté de Raymond Barre !

C’est d’autant plus

Vous voulez lire la suite ?

Profitez de tous les articles de Charles en illimité !

Inscrivez-vous et bénéficiez de 8 semaines d’essai gratuit sans aucun engagement.
Recevez chaque semaine Charles l'hebdo

Essai gratuit 8 semaines

Acheter l'article
pour 3€

Acheter

Tout Charles en illimité
L’hebdo, les podcasts, le site
Dès 6€ / mois

S'abonner

Vous avez déjà un compte ? Identifiez-vous

X