Depuis presque un siècle, Le Canard enchaîne les procès en dévoilant les secrets gardés de la République, sans jamais être condamné. Ou presque. Pourtant ses adversaires sont au sommet du pouvoir, ou jamais très éloignés. Comment expliquer cette insolente réussite judiciaire ? Son rédacteur en chef Louis-Marie Horeau et ses trois avocats réguliers nous racontent les coulisses de cet exploit.
PAR MALIKA MACLOUF
PORTRAITS PATRICE NORMAND / TEMPS MACHINE
Satirique, il l’est, pour sûr, et à en faire rire jaune plus d’un : depuis deux cents ans bientôt, Le Canard enchaîné excelle à provoquer angoisse et fébrilité. À susciter l’ire de tous bords par son application à déterrer des lièvres. Et à impulser un tremblement quasi irrépressible au sein des élites politiques et financières du pays, étreintes par l’attente : chacune des éditions de l’hebdomadaire, ou presque, regorge de dossiers que beaucoup préféreraient garder au secret. Des affaires anciennes ou récentes, certaines plus retentissantes que d’autres, mais toujours encombrantes, et dont l’étalage au grand jour a valu au journal de nombreuses poursuites. Mais les condamnations ont été si rares depuis sa naissance, en 1915, qu’on pourrait les dénombrer sur les doigts d’une seule main.
Ce n’est pourtant pas faute de faire usage de sa liberté de parole : Le Canard tire à vue, et sans distinction de bord politique, à en croire ses afficionados. « Si l’on pouvait compartimenter ce journal dans un camp, ce serait lui faire perdre toute légitimité », insiste l’un des quatre avocats réguliers du journal, l’élégant Maître Jean-Marc Fédida – coupe de cheveux impeccable, chemise brodée à ses initiales –, qui nous reçoit dans les bureaux chaleureux de son cabinet du chic VIIème arrondissement parisien. « Il est hors sol, fidèle à son seul devoir d’informer – il ne s’est jamais privé de critiquer les errements de Roland Dumas, son avocat pendant des années, ni d’avoir la dent dure contre Montebourg, qui le défendit également. » Henri Maler, coanimateur d’Acrimed, émet pour sa part quelques réserves quant au caractère absolu de ladite liberté en matière de choix éditoriaux : « Le Canard ne fait pas de l’investigation », avançait-il lors d’une conférence-débat organisée à Sciences Po en septembre 2012. « Il est plutôt passé maître en matière de révélations, sortant uniquement des dossiers qui lui sont confiés, pour des raisons politiques très diverses, par la police, la justice, les formations politiques. » Un ancien journaliste de la rédaction corrobore ces propos : « Jusqu’en 1970, c’était un journal purement satirique et ce n’est que sous de Gaulle qu’il a développé l’information et l’investigation, qu’il a longtemps été seul à pratiquer. Du reste, le “volatile” ne sort plus grand-chose aujourd’hui : son dernier grand coup remonte à l’affaire Michèle Alliot-Marie, en janvier 2011. Ses affaires ne sortent jamais gratuitement, mais uniquement parce que leur étalage au grand jour arrange quelqu’un. Il est évident que Le Canard reçoit des dossiers tous faits ! »
À l’instar, sans doute, de la plupart des médias établis, il faut bien que quelqu’un mette la puce à l’oreille des journalistes et les informateurs ne confient pas au hasard leurs dossiers explosifs. Avec une palpable lassitude, Louis-Marie Horeau, rédacteur en chef de la publication, balaie cette hypothèse d’un revers de la main : « C’est une accusation vieille comme le jour, qui laisse entendre que nous publions des dossiers pour des raisons d’opportunité politique, mais il n’en est rien. Bien sûr que nos informateurs attirent notre attention sur des affaires potentielles, mais dans l’affaire des faux
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