Carte blanche à Taoufik Ben Brik

Tunis roupille, les gens se démènent au pif et il n’y a plus personne pour s’immoler. On se demande chaque mois d’où va tomber l’argent pour le loyer et on est trop beurrés pour aller travailler. Alors, on fait la sieste pour oublier. On se la coule douce, pas de loyer, pas de fringues. On n’a qu’à barboter, chier, caqueter, picorer, farfouiller… et puis un jour le grand plouf…

« C’est ce qui arrivera, disent les Tunisiens, lorsque les gens décideront bientôt que la Tunisie doit faire partie de ce monde monstrueux, et quand cela arrivera, tout sera terminé. Tout ce qui leur restera à faire alors sera de tuer les autres, ceux qui pensent comme eux, et bon nombre de ceux qui opinent autrement, puisque c’est le stade final de la maladie. »

Tunis ville, un mercredi 1er mai 2013 : de la fatigue et de l’agitation. Debout sur les escaliers de la gare centrale, un groupe d’hommes maigres, poltrons et grêles pense : « Si on pouvait manger chaque jour des gaufrettes. » Dès qu’on commence à penser gaufrettes, ça va mal.

Un mouton antenais coûte 700 dinars, le prix d’une mobylette. Les gens ont perdu la parole et le nord. Il y a dans l’air de la peur, et dans la peur, de la fureur. Les gens sont effrayés jusqu’à en devenir défigurés. Tous les gentils petits fonctionnaires, leurs gentilles épouses et leurs marmailles gloutonnes, toutes les infirmières qui arpentent les couloirs des hôpitaux et soupirent après le temps infect, tous les fellahs* qui ne gagnent pas tripette avec leurs olives, tous les instituteurs qui ne croient plus à leurs tables des matières. Grisée, la peur se transformera en furie. Inch’Allah.

Le chômage augmente, la pauvreté s’aggrave, les grèves se multiplient, les scandales s’accumulent, s’embrasent et l’autorité s’écroule… Pour tout arranger, en passant en bagnole devant une palissade, j’ai vu un type qui ajoutait :

« Cinquante ans qu’on sème la merde »,

« Exister, c’est respirer l’angoisse »,

« Personne ne me prendra vivant pour me couper la zizinette. »

Les gens ont faim. Chaque chantier a son agitateur. Le gouvernement nahdhaoui navigue à vue. Demain ou peut-être dans une heure, la catastrophe va nous tomber dessus et nous serons noyés dans le sang. Tout le monde a peur. Moi aussi. La peur t’empêche de dormir la

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