LA TRIBU DES TÊTES BAISSÉES – Par Thomas Thévenoud

Chapitre 3 du roman de Thomas Thévenoud. À paraître chez La Tengo.

PHOTO PATRICE NORMAND

Je goûte chaque jour un peu plus au bonheur de cette vie nouvelle qui m’a été donnée en secret. Quelle joie de revoir Paris dans la lumière changeante de l’automne, de sentir le parfum de la terre au Champ-de-Mars, de marcher aussi vite, sans fatigue, comme quand j’étais jeune.

Je retrouve le plaisir de me promener seul, clandestinement, sans sécurité, sans médecin, sans confident intéressé. Tous ceux qui m’ont accompagné sur la fin… Ils ont dû écrire des livres, raconter mes derniers jours, révéler les secrets de nos promenades… On est toujours trahi après sa mort. Aujourd’hui, personne n’a plus rien à me demander. Pour eux, je n’existe plus. Ils m’ont quitté et ils ne savent pas que je suis revenu…

Au hasard des rues, je revois des visages et des silhouettes de mon autre vie.

L’autre jour, c’est étrange, les circonstances l’ont voulu ainsi : j’ai croisé mon propre fils dans la rue. Je l’ai immédiatement reconnu : il portait ce vieux loden bleu marine que je lui ai toujours connu et il marchait seul, à son rythme, qui est aussi le mien. Nous avons cheminé ensemble un long moment, côte à côte, sans rien nous dire évidemment, comme un père et son fils.

Quand il est monté dans l’autobus, je l’ai suivi. Je me suis assis à ses côtés et je l’ai vu sortir, lui aussi, ce petit téléphone qui leur sert à tant de choses. Il a écrit un message. J’ai remarqué qu’il se rongeait toujours les ongles. À son âge…

« Je rentre à Bièvre. Je suis passé chez Gallimard. J’ai vu Antoine et tous les autres. Il faut que je te parle des lettres de Papa. C’est déjà un gros succès. Ils imaginent la suite. » Et puis de son pouce, il a appuyé et le message est parti. J’ai juste eu le temps de voir la destinataire : Mazarine Pingeot.

Des lettres ? Quelles lettres ? Il faudra que j’aille voir ça de plus près. Et toi, ma fille, qu’es-tu devenue sans moi ? J’aimerais te revoir. Tu as gardé le nom de ta mère… C’est sans doute mieux comme ça. Je suis sûr que tu n’es pas pour rien dans cette nouvelle vie qui m’est offerte. Fais-tu bien tes prières chaque soir pour garder la mémoire

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