Influence des actionnaires, tutelle des annonceurs, hégémonie de la communication… L’idéal d’un journalisme économique libre et indépendant s’est altéré partout dans le monde depuis les années 80-90. Et particulièrement en France, à travers la rivalité singulière entre La Tribune et Les Échos, deux quotidiens économiques qui seront passés entre les mains de Bernard Arnault.
PAR MATHIAS THÉPOT
JOURNALISTE DE LA TRIBUNE DE 2010 À 2017
IMAGES JOCELYN COLLAGES
Rentrée 1993. Philippe Labarde, le directeur emblématique de La Tribune, vit ses dernières semaines à la tête du quotidien économique qu’il a façonné depuis près de dix ans. À la demande du gouvernement Balladur, le groupe LVMH — Louis Vuitton Moët Hennessy — vient de racheter La Tribune, en grande difficulté économique. Malgré sa réputation de journaliste aux idées de gauche, Philippe Labarde est dans un premier temps maintenu à la tête du titre par le P.-D.G. du groupe de luxe, Bernard Arnault. Ses compétences de journaliste unanimement reconnues parlent pour lui. Mais Labarde se méfie d’Arnault. Les patrons version capitalisme financiarisé — qui deviendront peu à peu la norme —, ce n’est pas sa tasse de thé. Il leur préfère les Jacques Calvet (Peugeot) ou Alain Gomez (Thomson), avec lesquels il cultive un respect mutuel depuis plus d’une décennie.
À peine le géant du luxe a-t-il repris La Tribune que Bernard Arnault sollicite un rendez-vous avec Philippe Labarde. Les deux font connaissance. Arnault se renseigne sur le fonctionnement du journal : « Vous bouclez à quelle heure ? − À 22h30 », rétorque Labarde. − Et quand m’enverrez-vous la une ? – Vers 23 heures, lui répond-il. Pas question pour Labarde que l’actionnaire fasse action d’ingérence dans la production du journal. − Mais… ce sera bouclé ? s’étonne Bernard Arnault pour qui l’idée d’une presse économique indépendante demeure un très lointain concept. − Effectivement Vous ne me l’envoyez donc pas avant ? insiste le patron de LVMH. − Non, non… » Avant cette discussion, Labarde avait déjà réservé quelques sueurs froides à son nouveau patron : alors que LVMH est en conflit ouvert avec ses vignerons sur le prix du raisin, La Tribune couvre l’affaire. « C’était pour vous montrer que nous traitions bien de l’actualité économique », justifie non sans ironie le journaliste auprès de son patron. Quelques jours plus tard, La Tribune titrera sur le « budget en trompe-l’œil » du gouvernement Balladur qui avait promis la grande rigueur, mais qui a finalement dépensé plus que prévu. Le « Bercy watcher » de l’époque à La Tribune, Jean-François Couvrat, déniche la combine. Philippe Labarde en fait la une. La légende
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