Jean-Pierre Chevènement : « La guerre a fait de moi un homme »

Jean-Pierre Chevènement est un enfant de la guerre. Il a vécu le deuxième conflit mondial, a survécu à la guerre d’Algérie où il a effectué son service militaire, avant de faire ses armes en politique plutôt qu’avec les militaires. Aux commandes du ministère de la Défense, celui qui se dit davantage « pacifique » que « pacifiste » a frappé les esprits en démissionnant avec fracas en 1991 pour marquer son opposition à l’engagement de la France dans la guerre du Golfe. Il nous raconte ici son rapport à la guerre, les coulisses du Conseil de défense et sa relation avec François Mitterrand.

PROPOS RECUEILLIS PAR LORIS BOICHOT
PHOTOS ARNAUD MEYER

Vous naissez le 9 mars 1939 à Belfort, au moment où apparaissent les prodromes d’une nouvelle pluie de feu et de sang. Vous effectuez ensuite votre service militaire en Algérie, à la fin de la guerre d’Indépendance. Diriez-vous que la guerre, la conscience du tragique qui résulte de l’expérience d’un conflit, est ce qui sépare votre génération de celle d’un Emmanuel Macron ?

Devenir président de la République à 39 ans, c’est une expérience qui vaut mieux que celle de la guerre. La guerre change profondément les hommes. En bien ou en mal. Parfois les deux.

 Et vous, comment vous a-t-elle changé ?

Oh, elle a fait de moi un homme. Je n’étais pas un homme quand je suis parti en Algérie. J’étais un enfant, ou un grand adolescent. Je sortais de ma bibliothèque de Sciences Po, j’étais un élève brillant, j’avais fait mon mémoire sur la droite nationaliste française et l’Allemagne de 1870 à 1960. Mais j’étais un jeune homme. Quand je suis rentré d’Algérie, deux ans et demi plus tard, j’avais été façonné par une expérience qui m’avait mis au cœur d’événements où des gens avaient été tués près de moi. J’avais vu le massacre de Saint-Denis-du-Sig (une douzaine d’harkis désarmés ont été tués lors de la nuit du 19 mars 1962 dans la foulée des accords d’Évian  ̶  NDLR). Pendant la période de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), j’avais vu des femmes de ménage algériennes assassinées, le port d’Oran bombardé, des officiers français tués  ̶ le général Ginestet, assassiné par l’OAS. J’avais vu beaucoup de choses… Quand on a fait la guerre, on voit les choses d’une manière beaucoup plus perspicace. En même temps, j’avais appris  un sens de l’histoire. Je comprenais très bien que de Gaulle, qui était né en 1890, allait bientôt disparaître, et qu’il fallait préparer la suite.

Avant de rencontrer les militaires français et algériens, les premiers militaires, que vous avez connus pendant la Seconde Guerre mondiale, furent des occupants allemands…

Oui, j’ai gardé le souvenir de l’occupation de la maison-école où nous habitions, dans un petit village du Haut-Doubs, Le Luhier. Cela devait être en 1943. Les soldats allemands s’étaient installés au premier étage, et ma mère m’interdisait d’y monter, au prétexte que les bonbons et les oranges que les soldats allemands me donneraient seraient empoisonnés. Ils avaient cette habitude dans les régions occupées pendant la Première Guerre mondiale. Mais je montais à l’étage, et malgré tout, je mangeais les oranges qui n’étaient pas empoisonnées !

De cette période de guerre, gardez-vous d’autres souvenirs d’enfant ?

Bien sûr. Les trois maisons de ma grand-mère incendiées le 18 juin 1940. Des soldats français ont eu l’idée de résister aux envahisseurs au lendemain du discours de Pétain, et ont tué

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