Profession : Journaliste de défense

« En 1984, Libération m’a confié trois dossiers : le suivi du RPR, celui du FN, et les affaires militaires. Je me suis assez vite rendu compte qu’il n’était pas possible de faire les trois, d’autant que le FN me sortait par les yeux. J’ai dès lors beaucoup investi sur la défense, ce qui convenait à Serge July (l’un des fondateurs du journal, qu’il dirigea jusqu’en 2006 – NDLR). J’étais le seul journaliste de Libé à avoir fait son service militaire. Et puis j’étais inattaquable, personne ne pouvant me soupçonner de marcher pour l’institution, puisque j’appartenais à l’équipe qui avait créé le journal en 1973. Pour faire ce job, il valait mieux avoir le cuir épais.

J’ai toujours traité la défense de manière très large, sans me focaliser sur le calibre du canon. Et pourtant, il est impossible de travailler avec des militaires sans connaître la vitesse de l’avion ou le calibre du canon, justement : ça n’a aucun intérêt pour le lecteur, mais nous, journalistes, sommes obligés de maîtriser les sujets techniques, c’est une question de crédibilité et de respect de l’interlocuteur. Il faut montrer qu’on sait de quoi on parle, qu’on connaît son sujet. Je me suis fortement intéressé aux affaires économiques, donc au commerce des armes et à la corruption, ainsi qu’aux affaires stratégiques et aux relations internationales. Je ne me suis jamais focalisé sur la seule vie des armées, qui serait très ennuyeuse, à force. Nous, les journalistes, avons un rôle d’anticipation, de lecture des signaux faibles. J’aime bien partir dans les sentiers annexes, faire surgir des sujets là où on ne les attend pas. En 1994, quand j’ai sorti la manière dont le service historique de l’armée de terre voyait l’affaire Dreyfus (il expliquait que l’innocence de Dreyfus était seulement « la thèse généralement admise par les historiens » – NDLR), ça a provoqué un choc, et les choses ont avancé puisque l’armée a ensuite, pour la première fois, admis officiellement l’innocence de cet officier.

En prenant ce poste, je savais déjà une chose essentielle : il n’y a pas d’homogénéité dans le milieu de la défense, c’est un monde éclaté, composé de centaines d’entités antagonistes et