Le Selfie du Grizzli de Basile Panurgias

Basile Panurgias est un auteur français d’origine grecque. Son dixième roman, Perdre le nord, paraît le 14 avril aux éditions Héloïse d’Ormesson. Expert en art européen du XVIIIème siècle, il a écrit une thèse sur le peintre Joseph Wright of Derby. Il partage son temps entre Paris et Copenhague.

 

Sherifa m’ouvre la porte du hammam, elle me taquine toujours, je suis certainement un des clients les plus fidèles, tous les deux jours, à 11 heures, on me présente une serviette blanche et je me mets à poil. Je dévoile rarement l’adresse de ce hammam, c’est mon jardin secret. Avant j’allais au Mykonos de Pigalle, mais j’ai tourné la page, trop sale, trop de tout. Un homo entre deux âges sait que pour séduire, il doit désormais être nickel, et au Mykonos ça n’est pas possible.

Ici tout est organisé, l’odeur de camphre et de myrrhe me transporte ailleurs, dans une Méditerranée heureuse. À force, je me suis fait des amis, je ne les vois qu’ici. Mon agent ne m’appelle plus, une ou deux figurations par an, le minimum pour survivre. Dans le hammam, il ne peut pas m’appeler, ça ne capte pas, mais ça ne fait aucune différence. Au moins aujourd’hui on ne va pas me bassiner avant les résultats du second tour, à 20 heures pétantes, le déroulé kitsch sur l’écran télé. Je compte bien rester ici jusqu’au soir, au chaud, toute la journée dans un banya, à la russe. Je suis venu avant que le site letemps.ch ne donne une estimation vers midi, puisque seule la France interdit les sondages les derniers jours ; letemps qui fait mieux que lemonde…

On est deux-trois habitués à se retrouver ici, mais aujourd’hui le seul que je connaisse c’est Gérard. Quelques touristes japonais, eux, viennent aussi pour la propreté, ils sont indifférents à la ferveur de nos élections présidentielles. Un type que je n’ai jamais vu entame la conversation. Selon lui, Le Pen et Juppé, c’est bonnet-blanc et blanc-bonnet. Curieusement, parler de politique à poil rend tolérant, quelqu’un le reprend mollement.

– Marine, Juppé n’en fera qu’une bouchée… Dire qu’il y en a qui disaient qu’il allait se chabaniser…

Je le regarde.

– Ah oui. T’es trop jeune, toi. Comme Juppé, Chaban était maire de Bordeaux, il s’est présenté en 74, il était trop sûr de lui et s’est fait doubler par Giscard. Il faisait l’Américain, un genre de Labro de la politique, d’ailleurs il était aussi beau que lui. Labro jeune bien sûr, et Chaban jeune… C’était une autre époque, les candidats étaient beaux, pas comme Culbuto…

– Moi, Hollande je trouve qu’il a du charme…

Je provoque. Il y a vite de la surenchère dans la provoc, le hammam chauffe les esprits :

– Attention, Marine, elle a changé, moi je voterai pour elle…

Je ne sais pas qui a parlé. On est pétrifié. On sait très bien que dans la communauté, il y a de plus en plus de lepénistes. Le Hollandais Pim Fortyun a ouvert la voie, homo facho, ce qui était une contradiction est devenu une mode. Mais de là à le dire tout

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