Les romans de Mitterrand

Il existe plus de 500 livres sur François Mitterrand. Dès lors, comment écrire encore sur lui ? Nous avons interrogé Laure Adler, Éric Roussel et Philip Short, qui ont publié récemment des biographies proposant des éclairages complémentaires. Ils racontent la genèse de leurs projets. En les écoutant, on mesure à quel point Mitterrand, cet écrivain empêché, avait constitué sa vie en une inénarrable fiction.

PROPOS RECUEILLIS PAR JEREMY COLLADO

Laure Adler : « Il est devenu romancier de sa propre vie »

« Le point de départ de ce livre ? J’ai rêvé un jour que François Mitterrand téléphonait à l’une de mes filles pour lui souhaiter la bonne année. Il était très attaché à la famille. La première chose qu’il m’avait demandée, c’est si j’avais des enfants. Et leurs dates de naissance… Ensuite, il appelait chaque année mes deux dernières filles pour leur anniversaire. Après ce rêve, j’ai pensé que j’avais une dette envers lui. Il fallait que j’écrive quelque chose qui montre la complexité de sa vie. Alors j’ai repris mes carnets et j’ai abandonné d’autres projets pour celui-ci.

Selon moi, dès son adolescence, Mitterrand a pensé que les mots étaient plus importants que la réalité. Il connaissait par cœur toutes les déclarations des révolutionnaires dans l’Hémicycle ! Il y avait donc ce tamis entre la réalité et lui, une surimpression de l’interprétation du réel, il était devenu romancier de sa propre vie… Ensuite, c’est quelqu’un qui s’ennuyait beaucoup. Il densifiait ce qu’il vivait pour en accentuer les détails romanesques. Aussi, faire un roman à partir de Mitterrand ne m’intéressait pas. Je voulais au contraire diminuer l’importance qu’il accordait à la fiction lorsqu’il jugeait que le réel n’était pas à sa hauteur. Ensuite, je suis historienne de formation. J’ai eu la chance d’être élevée au lait de l’histoire des mentalités, d’avoir eu comme directeurs de thèse François Furet, Michel Ozouf, Jean-Paul Aron… Ils m’ont expliqué que ce n’était pas l’histoire des dates ou des grands évènements qui régissaient l’intérieur de nos comportements individuels, mais plutôt ce qui a trait aux émotions, aux sensations… Je voulais donc saturer au maximum le quotidien de cet homme-là, en choisissant non pas le procédé biographique, par lequel on est obligés parfois de remplir des trous et d’ajouter de la chair à des moments où il ne se passe pas grand-chose. J’ai fait l’inverse : à partir d’une unité de lieu et de temps, j’ai essayé de ramener la réalité de la quotidienneté, quasi seconde par seconde, d’essayer de savoir quel temps il faisait, ce que Mitterrand avait mangé au restaurant, ce qu’il y avait au cinéma ce jour-là.

Mitterrand était très déçu par le niveau de son écriture – il n’a pas écrit beaucoup de textes seul, la plupart sont des dialogues qu’il a ensuite réécrits – et il disait que par définition, il n’était pas écrivain, car à chaque fois qu’il se mettait devant une page blanche, il n’arrivait pas à écrire. Il lui fallait un but. Or l’écriture, c’est une découverte, un vagabondage, une méditation, une perdition, mais ce n’est sûrement pas un but ! J’ai passé un temps infini à lire ses bouquins et ses écrits, notamment ceux parus dans l’hebdomadaire militant auquel il collaborait dans la Nièvre. Et je me suis aperçu que beaucoup de ses textes venaient de là ! Il reprenait ses éditos jusqu’au dernier moment, il allait au marbre pour changer la chute. Il n’était jamais content de ce qu’il faisait… En tant que conseillère culturelle à l’Élysée, j’étais censée écrire ses discours, mais il reprenait tout. Il barrait tout ce que vous lui apportiez, mais il ne pouvait pas écrire sans élan initial.

Pour moi, ce livre était un exercice d’écriture au sens plein du terme : jusqu’à la fin, je ne savais pas combien de pages j’allais consacrer à chaque journée. Pour certaines, c’est dix lignes, pour d’autres, six ou sept pages. Je ne savais pas non plus qu’il y aurait 176 journées particulières. En fait, je ne les ai pas maîtrisées. Depuis le début, mon éditeur voulait un nombre déterminé de journées. À chaque fois, je lui répondais que je ne pouvais pas travailler comme ça ! Une chose est sûre : je voulais éviter l’écueil des dates les plus connues, comme le 10 mai 1981. En revanche, je voulais prendre la veille et le lendemain. Être hors-champ et à contre-pied. Du coup, je voulais être au présent, forcément, sans toutefois me tromper dans la temporalité. C’était un exercice d’équilibriste : comment faire pour garder l’unité de temps ? C’était un casse-tête de tous les instants. Ça s’écrivait comme un roman vrai, très agréable à écrire au final, mais très angoissant aussi. Il y avait un nombre de documents incroyables par terre dans mon bureau, puisqu’il me fallait des boussoles, entre 40 et 50 choses en même temps : les journaux, les archives…

Les six derniers mois, j’étais bloquée. Je n’arrivais pas à le faire mourir… Franz-Olivier Giesbert a alors été une sorte de confesseur. Ses livres sur Mitterrand sont très bons et il m’a beaucoup aidé. J’amasse, puis à un moment je pars dans l’écriture. Comme si les choses avaient été expulsées de soi, et qu’il fallait se tenir dans une sorte de distance. J’avais accumulé un nombre incalculable de choses très précises, notamment sur ce fameux 31 décembre 1995 que Mitterrand passe dans les Landes avec tous ses amis. Y compris des choses qui auraient pu être croustillantes pour le buzz, sur le fameux dîner aux ortolans. Mais je ne les ai pas utilisées. En tout cas, je peux vous assurer que tout ce qui a été raconté, sur la serviette et les ortolans, est complètement faux ! En revanche, j’étais très fascinée par la journée du lendemain. Il était seul, il attendait la mort, tout le monde était parti mais il ne voulait pas prendre l’avion pour remonter à Paris alors qu’il devait le faire… Qu’est-ce qu’il s’est passé dans sa tête alors qu’il regardait ces paysages qu’il aimait tant ?

La première fois que j’ai rencontré Mitterrand, j’étais comme Mickey Mouse dans un dessin animé ! Je ne le connaissais pas François Mitterrand avant qu’il me convoque un samedi après-midi assez sinistre. Mais ce jour-là, j’ai eu une révélation. Avant ça, j’avais un rapport très ambigu à lui car pour ma génération, c’était un vieux schnock de la IVème ! Mais je me suis sentie concernée par la campagne de 81, je pensais même que ça pouvait avoir des incidences sur ma vie personnelle. Par exemple, je croyais qu’il allait changer les critères d’admission à la fin de la première année de médecine pour que je puisse devenir psychiatre ! J’étais barge, complètement givrée. Entre lui et moi, un courant est passé. Il me demandait par exemple des noms de restaurants pour le mercredi soir, qu’il passait avec Mazarine. Si celle-ci jugeait le restaurant ringard, je le savais dès le lendemain. En revanche, si ça lui avait plu, Mitterrand se contentait de grommeler comme sa marionette dans « Le Bébête show »…

Ai-je compris cet homme au final ? Ce qui est vrai, c’est que j’ai peut-être pu m’approcher de différents aspects de son personnage. Je ne suis pas certain qu’il savait lui-même qui il était ! Je le répète, car ça n’est pas assez dit, je crois qu’il était très timide, jamais trop à l’aise avec beaucoup d’autres. Avec trois ou quatre personnes, oui. Mais il n’aimait rien tant que marcher sans avoir à parler. Il ne portait aucune attention au brouhaha. Son esprit se portait sur autre chose. Il était là et pas là en même temps… J’aimerais bien lui parler maintenant. De ce que j’ai appris sur lui en faisant ce bouquin. Par exemple, je ne savais pas qu’il passait tous les moments où il était dans sa famille, en rentrant du pensionnat, au milieu des autres, un bouquin à la main. Où était-il à ce moment-là ? Pourquoi ouvrait-il un bouquin ? Pourquoi ne partageait-il pas avec les autres ?

J’ai été, hélas, à son chevet, dans sa chambre, durant la dernière année de son mandat à l’Élysée, pour les besoins d’un livre. Il a tenu tous ses rendez-vous, chaque vendredi, à 11 heures du matin, dans une chambre, lui allongé dans son lit, et moi à côté qui l’écoutait. Il ne voulait pas que je prenne de notes ni que j’enregistre, alors après le rendez-vous, je descendais et à l’étage du dessous, il y avait des toilettes. Je me planquais là et j’écrivais tout ce que j’avais entendu. À côté de lui, dans sa chambre, il n’y avait que des livres religieux : l’Ancien et le Nouveau Testament, des livres bouddhistes, les écrits de Thérèse de Lisieux. Ils étaient à portée de main. Il n’y avait plus de littéraire, que des textes sur le devenir de l’humanité… »

Laure Adler, François Mitterrand : journées particulières, Flammarion

Éric Roussel : « Mitterrand est tellement shakespearien »

« Le défi de cette biographie, c’était évidemment d’apporter du nouveau, sinon quel intérêt ? C’est une méthode que j’avais déjà utilisée en faisant la biographie de Pompidou il y a trente ans. Mais à l’époque, j’étais surtout tributaire de sources orales, puisque les archives n’étaient pas encore disponibles. Cette fois c’était différent, puisque Mitterrand est mort en 1996. Les témoins eux-mêmes ont acquis un certain recul. Je voulais aussi m’inscrire en faux contre l’idée très répandue selon laquelle c’était un homme qui n’avait aucune conviction. Certes, il n’en avait pas beaucoup, mais sur l’Europe, sur l’Alliance atlantique, les droits des femmes, des sujets essentiels, il en avait de fondamentales.

Cette biographie de Mitterrand, je l’ai commencée il y a très longtemps, avec un livre qui se voulait moins ambitieux que celui-ci, en 1991, alors qu’il était encore à l’Élysée. Mon premier éditeur, Lattès, m’avait commandé ce projet. Mais Mitterrand n’avait pas très envie d’y collaborer et me mettait des bâtons dans les roues. C’est toujours difficile d’écrire sur quelqu’un qui est encore en vie. Il y a eu aussi une part de hasard dans cette biographie. Au départ, je ne savais pas que j’allais avoir accès à certains documents. Or, on m’a confié des choses privées car on savait que j’en ferais bon usage. J’ai d’abord des amis qui sont liés à la famille de François Dalle, et qui m’ont donné sa correspondance avec François Mitterrand. Il y avait aussi une correspondance que Pierre Péan avait utilisée, sans en mentionner le destinataire. À la suite d’une course-poursuite, d’abord en téléphonant au beau-fils de la personne en question, je me suis aperçu qu’elle venait de mourir. C’est par son neveu que j’ai eu accès à cette correspondance, qui s’est avéré être celle de la cousine de Mitterrand, qui fut un temps sa maîtresse. Elle avait dit à Péan : “Moi, je n’ai été qu’une intérimaire.” Péan en avait exploité la partie politique ; mais la partie intime ne l’avait pas été.

Du coup, ça donne une dimension un peu romanesque à cette biographie. On apprend ainsi que Mitterrand, qui est sorti de son camp de prisonnier en 1942, a tenté de retrouver Catherine Langeais. Elle était déjà partie. Avant cela, Mitterrand était l’homme d’une seule femme. C’est par la suite qu’il est devenu le séducteur que l’on sait, alors qu’il n’avait pas connu d’expériences avec des femmes avant 21 ans, m’a-t-on raconté. Ensuite il s’est bien rattrapé, n’est-ce pas ! Mais rappelez-vous d’où vient le personnage, il était président de la conférence de Saint-Vincent-de-Paul. Dans sa correspondance, on voit comment ce bon jeune homme catholique devient, par déception, un personnage des Liaisons dangereuses, comme pour se venger des femmes. Ça éclaire le personnage, évidemment.

Toutefois mon idée n’était pas de fracturer la vie privée de Mitterrand. Par exemple, je n’ai pas beaucoup parlé de Mazarine. Je comprendrais que certains passages ne lui plaisent pas : son père est tellement shakespearien. Malgré tout, c’est son père… Et je ne travaille pas comme Henri Guillemin qui revient à la mode, et qui se faisait une spécialité de psychologiser et de trouver les failles de ses personnages. Je replace le tout dans une perspective historique. C’est évidemment plus facile avec Mendès-France, qui était une sorte de saint laïc et qui n’a pas beaucoup exercé le pouvoir. Mitterrand, c’est l’inverse : il a choisi le pouvoir, avec tous les accommodements que cela nécessite.

L’autre difficulté, c’est que Mitterrand est entouré d’un mythe. Il ne faut donc pas s’en abstraire. Or il y a duel entre les archives et le mythe : parfois, les premières contredisent le second. Fin 1943, il y a par exemple un mystérieux voyage de Mitterrand en Angleterre. Mon hypothèse qui est aussi celle du Colonel Passy, est que Mitterrand a un peu travaillé pour tout le monde à cette époque. Il avait des contacts à la fois avec le cabinet du Maréchal, la Résistance et René Bousquet. Dans sa correspondance avec sa cousine, il avoue qu’il mène une existence double, voire triple, et potentiellement très dangereuse. Ça correspond exactement à cette période !

Le témoignage que m’a donné Passy est incroyable. J’étais venu le voir pour évoquer De Gaulle et il m’avait parlé, comme pour s’en délivrer, d’une chose lourde à porter. Il m’avait dit que Mitterrand lui avait épinglé la grand-croix de la Légion d’honneur en échange du secret sur son passage en Angleterre. Il y a eu une histoire similaire avec le général du Passage. Il se trouve que j’avais une voisine qui portait ce nom. Et je l’ai retrouvée à une vente de livres, à Versailles, car elle animait une sorte de café littéraire. “Tu as un lien avec ce général du Passage ?” lui ai-je demandé. “C’est mon beau-père ! Il est mort, mais je peux te confier certains documents.” Mitterrand a voulu faire le même coup avec le général du Passage, qui a refusé. Il se doutait de quelque chose car Mitterrand, qui ne l’avait pas vu depuis des années, l’invitait soudain à l’Élysée. Je n’arrive toujours pas à résoudre clairement cette histoire, c’est assez compliqué. Christophe Barbier, dans L’Express, est allé plus loin que moi. Il a soutenu que l’envol de Mitterrand pour Londres, en novembre 1943, a probablement été « parrainé » par Vichy et « toléré » par la Gestapo… On dit que la Gestapo était autour du champ duquel s’est envolé l’avion. Ce qui est sûr c’est que, pour faire ça, il fallait avoir des contacts très hauts placés à Vichy. On ne fait pas un chantage à la Légion d’honneur sans raisons…

J’ai rencontré François Mitterrand deux fois. Chez lui, en 1977, alors que j’étais encore étudiant et que je me destinais alors au droit constitutionnel. J’écrivais ma thèse et par un ami, je suis allé le voir. C’était rue de Bièvre. Ça a duré dix minutes. Il n’était pas particulièrement intéressé. Il avait un art de déstabiliser… La deuxième fois s’est produite en mars 1983, cette fois à l’initiative de Mitterrand. J’avais 31 ans, j’étais au Monde, et j’écrivais un livre sur Pompidou. André Fontaine, qui était allé le voir pour lui parler de mon projet, était revenu avec cette formule assez hallucinante pour moi : “Le président de la République veut te voir.” Mitterrand m’a parlé de Pompidou pendant dix minutes, puis de De Gaulle de façon très violente, sans que je ne lui aie rien demandé. Il opposait les deux. Il faisait même un parallèle entre l’affaire Marković et l’affaire de l’Observatoire. “On a voulu nous tuer politiquement”, disait-il.

Éric Roussel, François Mitterrand : de l’intime au politique, Robert Laffont

Philip Short : « Tout grand homme politique est un salaud »

« J’ai fait une biographie de Mao et, lorsque je faisais des conférences en Chine, je leur disais : “Vous, vous voyez les arbres et moi, je vois la forêt !” J’ai un autre regard sur Mitterrand, c’est sûr, puisque je suis anglais. J’ai essayé d’en faire un portrait total, car on ne peut pas morceler un homme. Au départ, ce qui motive mon livre, c’est la volonté de cerner “l’incernable”. Mitterrand est un personnage ambigu ou ambivalent, selon le mot de Fabius. Pour Mitterrand, il était fondamental de rester insaisissable. C’est ce qui lui donne sa liberté. On lui a fait de mauvais procès : sur la francisque, par exemple. Pourtant, tout le monde savait ! De Gaulle le premier. C’est la génération née après la guerre qui lui a fait payer d’être dans la “zone grise” de cette période. C’est lamentable. Mitterrand était un agent double, à la fois vichyste et résistant. Couve de Murville, par exemple, était aussi à Vichy ! Certes, Mitterrand n’était pas un enfant de cœur. Mais qu’on l’attaque pour des choses qui le méritent !

Par ailleurs, je pense que tout grand homme politique est un salaud. Je ne fais pas dans la moralisation. On peut penser ce qu’on veut de l’homme Nixon ou de la femme Thatcher dans leurs vies privées ou dans leurs personnalité. Il n’empêche qu’ils ont fait des choses extrêmement nécessaires pour leurs pays. Mitterrand, idem.

Normalement, on commence en lisant tout, en travaillant sur les archives. Moi, j’ai débuté avec des interviews de gens qui l’ont connu, avec des contacts dans le cercle proche. J’en avais rencontrés beaucoup, entre 1981 et 1990.  Je me félicitais d’être à Paris à cette période qui était fascinante : la cohabitation, la fin de l’URSS, un moment aussi où le terrorisme était extrêmement dur à Paris… On avait, dans les années 80, la même psychose et la même inquiétude qu’on a aujourd’hui, avec les attaques terroristes de Daech.

Beaucoup de commentateurs ont fait remarquer que j’avais eu des témoignages inédits, celui d’Anne Pingeot par exemple. Il se trouve que je l’ai rencontrée par l’intermédiaire d’André Rousselet qui ne voulait pas me parler au début, mais avec lequel je suis devenu ami. Il s’est convaincu que mon livre serait sérieux, qu’il ne serait pas un livre à sensation, et m’a aidé à obtenir le témoignage d’Anne Pingeot. Le fait que je ne sois pas Français a certainement joué, je n’étais pas dans le microcosme. Mais peu ont dit que j’avais aussi eu le témoignage de Jean Balenci, l’amant de Danielle Mitterrand, que j’ai approché deux fois avant d’obtenir son aval.

Une chose me paraît importante à rappeler. Pour moi, les archives étaient quand même primordiales. Malheureusement, je n’ai pas pu avoir accès à tout ce que je souhaitais. La France est un pays de réseaux. Pour avoir accès à certains documents, il faut en faire partie. L’exemple de Jacques Attali est ici emblématique. Dans ses Verbatim, on voit qu’il a largement trafiqué les citations de Mitterrand, mais il a eu accès à tous les documents. Aux Archives nationales, ils étaient très gentils avec moi dans la mesure du possible, car certaines périodes, comme celle du Rwanda, étaient classées Secret défense. Avec une définition très large du Secret Défense… Aux États-Unis, qu’on peut critiquer pour beaucoup de choses, il y a une loi sur la “freedom information”, qui permet de rendre disponible les choses à tout le monde.

Sur l’attentat de l’Observatoire, en revanche, j’ai pu consulter tout le dossier. Je commence d’ailleurs le livre là dessus. Cette histoire est hallucinante. Beaucoup croient encore qu’elle a été fabriquée par Mitterrand, ce qui est faux. Mais ce qui est vrai, c’est qu’il a voulu en profiter et qu’il s’est mis d’accord avec le tireur pour tirer les marrons du feu. Or, c’est l’inverse  qui est arrivé ! J’ai passé des semaines dessus, notamment à l’Institut François Mitterrand, qui m’a confié le dossier du procès. J’ai aussi interviewé Jacques, le frère du président. Il m’a donné la clé de cette histoire, que Mitterrand a traînée toute sa vie comme un boulet. 

Philip Short, François Mitterrand : portrait d’un ambigu, Nouveau Monde éditions

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