« Mes filles ont toujours pensé comme moi, chacune avec leurs nuances »

Lorsque Jean-Marie Le Pen nous reçoit, le 1er avril dernier, dans son manoir de Montretout sur la colline de Saint-Cloud, il est encore président d’honneur du Front national. Nous sommes à la veille de son interview avec Jean-Jacques Bourdin dans laquelle il répètera que les chambres à gaz sont toujours à ses yeux, un « point de détail » de l’Histoire de la Seconde Guerre mondiale. Cette énième provocation suivie d’un entretien explosif dans le journal d’extrême droite Rivarol dans lequel il réhabilitera le maréchal Pétain, scellera définitivement l’avenir politique du « Menhir ». Jean-Marie Le Pen pouvait-il imaginer qu’un jour il serait suspendu du parti qu’il a présidé d’une main de fer durant près de quarante ans ? Sans doute pas. Pendant longtemps, il a d’ailleurs repoussé l’idée d’un passage de flambeau, allant jusqu’à déclarer : « Ma succession n’est pas ouverte… On peut mourir avant son père ou avant son président. » En 2011, il a fini par se résoudre à ce que sa fille Marine lui succède à la tête du Front national. Fidèle à son idéologie affective (« Je préfère mes filles à mes nièces, mes nièces à mes cousines, mes cousines à mes voisines, mes voisines à des inconnus et des inconnus à mes ennemis »), il l’avait imposée en haut de l’organigramme, provoquant le départ de la vieille garde (Carl Lang, Jean-Claude Martinez…) et de ses amis de toujours (Roger Holeindre). Car pour Le Pen, le FN est une monarchie politique où « le sort des dauphins (c’est-à-dire des étrangers à la famille) est de s’échouer ». Cet entretien, réalisé un mois avant la crise, offre donc tous les éléments de la tragédie à venir. À croire que l’histoire frontiste est un éternel recommencement.

Propos recueillis par Mathieu Dejean et David Doucet

Votre nom semble indissociablement lié à la politique. Avant vous, votre famille était-elle déjà politisée ? 

Mon père, Jean Le Pen, fut le plus jeune conseiller municipal de La Trinité-sur-Mer mais il était aussi président du syndicat des pêcheurs et président des jeunes de l’Union nationale des combattants. Il est possible que ça ait joué un rôle dans ma détermination politique. Mon grand-père et ma grand-mère ne savaient ni lire ni écrire, ils étaient donc loin de la politique, mais on dit que dans la famille, il y a un cousin très lointain, un conventionnel, Le Floch je crois. Et un chef chouan, à Baden, près de la rivière d’Auray. Mon nom prédestinait peut-être à la politique. Vous savez que Le Pen veut dire « le chef » en breton ?

Avez-vous des souvenirs des discussions politiques que vous pouviez avoir avec votre père ? 

Non, car mon père est mort en mer alors que je n’avais que 14 ans. Je ne le voyais que très rarement. Nous n’avons pas eu trop de discussions politiques, mais je sais que mon père était plutôt de droite. 

Quand en 1983, vous emmenez avec vous votre fille Marine Le Pen âgée d’à peine 15 ans en campagne dans le XXème arrondissement de Paris pour la première fois, aviez-vous la volonté de lui faire partager vos combats politiques ? 

Pas du tout. C’était ma fille, elle est venue avec moi, parce qu’elle souhaitait accompagner son père, pas par militantisme politique. À la maison, il nous arrivait de parler de politique, mais comme on peut parler de l’air du temps, ou du dernier film qui vient de sortir. 

Vous n’avez pas cherché à mettre une digue entre la politique et votre famille ? 

Non, ni une digue, ni une échelle. Ça ne me paraissait pas nécessaire. Tout comme je n’ai jamais eu d’intention dynastique à proprement parler. Mes filles étaient au collège ou lycée, je savais que ce n’était pas toujours facile pour elles. Marine a été ostracisée dès son plus jeune âge. En 1985, Libération avait titré en couverture : « Torturés par Le Pen ». Je savais que ça allait tanguer, j’avais donc proposé à Marine d’être dispensée d’aller en classe. Elle m’a répondu : « Non, pas question ». Et elle m’a raconté qu’en arrivant à l’école, ses camarades l’ont félicitée, ont salué son courage, lui ont dit « Bravo ! ». 

Dans une interview au Times, vous aviez pourtant déclaré que contrairement à vous, votre fille avait eu une éducation de « petite bourgeoise ».

C’est évident qu’elle a eu une éducation « bourgeoise », Marine n’est pas une fille du peuple ou de banlieue. Son père n’était pas ouvrier d’usine et sa mère femme de ménage. Elle est la fille d’un député. Mais durant toute son enfance, elle a été nimbée d’une hostilité qu’elle devait à son père, elle n’a jamais pu bénéficier d’aucune complaisance d’un milieu social ou culturel. Elle était toujours considérée comme « la fille de Le Pen ». On est l’objet d’ostracisme dans les autres professions. Donc on vient naturellement à la politique quand on est un Le Pen. Marine Le Pen s’en est rendu compte lorsqu’elle a voulu être avocate au barreau… 

L’attentat de la Villa Poirier qui frappe très tôt votre famille en 1976 a-t-il participé

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