#22 Elisabeth Moreno : « Demander la parité, ce n’est pas demander la charité »

#22 Elisabeth Moreno : "Demander la parité, ce n'est pas demander la charité"
Elisabeth Moreno, Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances Photos par Olivier Roller
Pour la première fois de la Ve République, le président a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes une grande cause nationale.

Arrivée matinale à l’hôtel du Petit Monaco, où Elisabeth Moreno, Ministre déléguée chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, a prit ses marques depuis sa nomination le juillet 2020.

Ambiance joviale, énergie communicative et bienveillance, la ministre nous a accueillit dans son quotidien avec beaucoup de générosité et d’enthousiasme.

Ensemble, nous sommes revenues sur son parcours personnel et professionnel, cocktail qui l’a propulsée sur le devant de la scène politique, terrain jusqu’ici inconnu qu’elle dompte avec finesse et humour.

Egalité entre les femmes et les hommes, diversité, égalité des chances… Entre théorie et pratique, elle nous explique tout.

« L’immigration n’est jamais quelque chose de facile »

Tendez l’oreille…

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Extraits du podcast ‘Dans l’oreille de Charles’, série ‘femmes d’influence’,
Interview menée par Marine Peltier

Je suis née à Tarrafal au Cap Vert, où j’ai grandi. Je garde un souvenir très doux de mon enfance car au Cap Vert, on ne vit pas dans une maison, on vit tous dans notre village. Tout le monde se connaît, toutes les femmes sont des tantes et tous les hommes sont des oncles, c’est une vie pleine de légèreté, de bonheur et de joie.

Je suis arrivée en France aux côtés de mes parents, ma petite sœur et mon petit frère dans des conditions dramatiques. Ma petite sœur a été hospitalisée dès notre arrivée. J’ai vécu cette période comme un déchirement. Je ne connaissais personne, je ne voyais pas grand monde qui me ressemblait et je ne parlais pas la langue.

Je garde un souvenir très ému de ma première année d’école en France car je suis tombée sur une maîtresse absolument admirable. De ces maîtresses dont on rêve dans les livres, bienveillante, à l’écoute, attentive… Elle m’aidait même à faire mes devoirs après la classe, mes parents étant illettrés.

Je voulais devenir avocate pour défendre la veuve et l’orphelin mais finalement, je suis devenue chef d’entreprise et puis ministre !

L’immigration n’est jamais quelque chose de facile. J’ai grandi dans une famille qui a quitté ses racines et a dû s’intégrer dans un pays qui n’était pas le sien. Cela nécessite beaucoup de courage et de résilience. C’est également la possibilité de construire un nouvel avenir sur une terre d’accueil comme la France, une chose extraordinaire pour ma famille !

« L’immigration n’est jamais quelque chose de facile. Cela nécessite beaucoup de courage et de résilience »

Je suis particulièrement honorée d’avoir dans mon titre ministériel “égalité des chances”. C’est toujours comme ça que j’ai vu la France. Un pays qui donne la chance aux personnes, quelles qu’elles soient, quelle que soit leur origine, quelle que soit leur orientation sexuelle, quel que soit leur genre, la possibilité de s’accomplir.

Grande cause du quinquennat

Pour la première fois de la Ve République, le président a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes une grande cause nationale.

Il n’est pas possible de parler d’égalité entre les femmes et les hommes sans s’assurer que les femmes sont protégées et peuvent vivre en paix, que ce soit au sein de leur foyer ou dans la rue, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. C’est pourquoi la question des violences sexistes et sexuelles est primordiale. Cette question a été adressée dès 2018 par le biais du Grenelle sur les violences conjugales, dont 46 mesures concrètes sont issues. Notamment, la mise en place de bracelets anti-rapprochements, ou encore la création de 16 centres de prise en charge des agresseurs créés l’année dernière.

L’émancipation économique des femmes est très importante. En effet, comme Gisèle Halimi, je suis convaincue que les femmes acquerront leur indépendance et leur liberté grâce à leur émancipation économique. L’index de l’égalité professionnelle a été mis en place à cet effet et permet de mesurer la position des femmes dans les entreprises. Aujourd’hui, les femmes occupent des métiers qui sont les moins reconnus, les moins valorisés et les moins qualifiés. Il faut pouvoir leur donner une place dans notre société en leur donnant les moyens de l’émancipation, et ce en faisant en sorte qu’il y ait toujours plus de femmes à des postes décisionnaires. Les femmes sont directement concernées car elles représentent 52 % de la population !

« Comme Gisèle Halimi, je suis convaincue que les femmes acquerront leur indépendance et leur liberté grâce à leur émancipation économique »

Le gouvernement travaille d’arrache-pied sur ces sujets, avec les associations qui font un travail remarquable sur le terrain. Je vois de plus en plus d’entreprises qui se saisissent de la question de l’égalité entre les femmes et les hommes, non seulement par le prisme des violences, mais aussi pour leur donner leur place et pour qu’elles puissent contribuer à la réussite des entreprises. Demander la parité, ce n’est pas demander la charité ! Je ne suis pas en train de quémander afin que les femmes aient le droit de travailler, je demande qu’elles gagnent autant que les hommes quand elles ont les mêmes responsabilités, et qu’elles trouvent leur place quand elles ont des capacités et des compétences. Il en va de la performance et de la réussite de nos entreprises et de leur durabilité, car je suis convaincue que les entreprises qui réussiront demain seront des entreprises responsables et inclusives.

Violences sexistes et sexuelles

Notre société se concentre beaucoup aujourd’hui sur la vulnérabilité humaine, sur la domination que certaines personnes subissent parce que d’autres êtres humains ont décidé qu’ils pouvaient utiliser, asservir, maltraiter et aller jusqu’à tuer autrui.

Je veux saluer le courage des personnes qui parlent parce que, comme le président de la République l’a dit, la honte doit changer de camp. Il n’est plus possible de tolérer que les victimes aient peur et honte. Au contraire, c’est aux agresseurs d’avoir de plus en plus peur. Aujourd’hui, il n’y a plus d’impunité. Le voile pudique avec lequel on cachait ces vulnérabilités est en train de se lever. Les victimes sont écoutées, nous les croyons et les accompagnerons pour sortir de ces cycles de violence.

« A-t-on envie de vivre dans une société où un enfant sur dix est victime d’inceste ? A-t-on envie de vivre dans une société où tous les deux ou trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint ? »

Finalement, une question subsiste : dans quelle société souhaitons-nous vivre ? A-t-on envie de vivre dans une société où un enfant sur dix est victime d’inceste ? A-t-on envie de vivre dans une société où tous les deux ou trois jours, une femme meurt sous les coups de son conjoint ?

Je suis heureuse que la parole se libère, que les médias les mettent en lumière, que des journalistes disent qu’elles ne sont pas des salopes mais qu’elles sont des journalistes. Il faut que la parole des femmes continue de se libérer, c’est comme ça que nous ferons taire les agresseurs.

Les femmes, l’entreprise et le numérique

La situation qui est la mienne fait qu’en sortant de mes études, je n’avais pas de réseau. Cette période a été très difficile pour moi car j’ai eu beaucoup de mal à trouver ma place dans le monde professionnel. J’étais juriste, fatiguée et désespérée à force d’essayer de convaincre que j’étais compétente et capable. C’est pourquoi j’ai créé mon entreprise, pour prendre mon destin en mains. Ma carrière professionnelle a commencé ainsi et c’est très formateur !

Elisabeth Moreno
« Si nous voulons que le monde de demain soit plus inclusif, plus juste et plus égalitaire, il faut que nous prenions notre place dans ce monde numérique »

Plus tard, j’ai eu la chance de travailler avec les plus grands groupes européens, américains et asiatiques. À travers ces expériences, j’ai pu voir que les discriminations sont universelles : les femmes sont discriminées sur les quatre continents de la même manière. Les discriminations sont également sociales car les grands groupes ont tendance à recruter les mêmes profils sortis des mêmes écoles. Mais grâce à ces expériences, j’ai aussi été témoin de la capacité des entreprises à transformer notre société. J’ai passé les vingt dernières années de ma vie dans les technologies, un monde encore trop masculin alors même que les femmes étaient très présentes dans les débuts de ce secteur.

« Si nous voulons que le monde de demain soit plus inclusif, plus juste et plus égalitaire, il faut que nous prenions notre place dans ce monde numérique »

Elles ont disparu au fil du temps parce qu’elles considèrent que c’est un monde qui n’est pas fait pour elles. Alors même que nous savons que dans les cinq prochaines années, une création de poste sur trois aura lieu dans le monde des technologies. Pour cela, je veux lancer un appel aux femmes et aux filles qui nous écoutent : si nous voulons que le monde de demain soit plus inclusif, plus juste et plus égalitaire, il faut que nous prenions notre place dans ce monde numérique. Pour que les algorithmes et l’intelligence artificielle prennent en considération ce que nous sommes, il faut que nous disions ce que nous sommes et que nous demandions ce dont nous avons besoin.

Le Questionnaire de Charles

Égalité femmes-hommes, diversité, égalité des chances : quel qualificatif commun à ces trois notions ?
Égalité et dignité.

Quelle loi française représente à vos yeux la plus grande avancée sociale ?
L’article 1 de la Constitution, qui statue que tous les êtres naissent libres et égaux en droits et en dignité. C’est le plus bel article du monde !

Qui est votre rôle modèle ?
J’en ai plusieurs !
Je pense à Simone Veil. Je n’ai pas parlé de la loi sur l’IVG, mais elle représente pour les femmes la possibilité de disposer de leur corps. C’est un droit fondamental et pourtant, il nous est retiré dans certains pays.
Je pense également à Gisèle Halimi qui nous a quittés il y a peu. Elle a découvert son féminisme dès l’âge de 10 ans et je trouve cela remarquable. À 10 ans, elle faisait grève pour dire qu’elle ne ferait pas le lit de son frère. Elle a tenu et résisté jusqu’à gagner ! Et écrire dans son petit journal intime : “Aujourd’hui, j’ai gagné mon premier bout de liberté”. C’est un exemple inspirant pour toutes les femmes parce que la lutte est encore réelle et concrète aujourd’hui. J’encourage les femmes à se battre tous les jours pour continuer à gagner des petits bouts de liberté.

Quelle est votre grande cause à vous ?
J’ai deux filles, ma grande cause est de faire en sorte qu’elles puissent vivre dans un monde où, quand on les regarde, on ne regarde pas leur couleur de peau ou leur genre mais leur esprit, leur volonté et leurs envies.

Que faites-vous pour vous détendre ?
J’adore marcher, sortir, rencontrer mes amis. J’adore rire, le rire est la meilleure thérapie au monde ! Je lis, j’aime beaucoup lire, je regarde des films, je regarde des séries. Je vis !

La dernière série que vous avez regardée ?
‘Scandal’.

Le mot de la fin ?
Espoir et résilience.

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