ENFER FISCAL
Marc Albert Simon avait plusieurs surnoms.
Pour les pages économiques des journaux ou des hebdos spécialisés, c’était MAS. MAS le gagneur, MAS le patron social, MAS le PDG de Mitral 62, une entreprise d’équipements pour cabinets de dentisterie à Saint-Laurent-Blangy dans la banlieue d’Arras, filiale de Mitral France, elle-même filiale de Mitral international. MAS était une figure montante du MEDEF. On l’invitait souvent à des débats télévisés pour qu’il donne son avis sur des questions économiques ou des sujets de société. Il approchait la soixantaine, avait une allure élégante et sportive, et des costumes de gravures de mode. Il était toujours bronzé et aimait bien à l’occasion qu’on rappelât qu’il avait été militant maoïste dans sa jeunesse, au début des années 1970. MAS se battait pour maintenir l’emploi mais n’hésitait pas pour cela à recourir à quelques plans sociaux de temps à autres pour contenter les actionnaires.
Il s’agissait donc d’un patron humain mais moderne. En plus, MAS était champion de char à voile et propriétaire du club de foot de Capone-les-Bains, une jolie station balnéaire entre Hardelot et Le Touquet. Le Capone Football Club Côte d’Opale (CFCO) avait de bonnes chances de monter en National 1 la saison prochaine. On prêtait aussi à MAS des ambitions politiques, sans doute une place éligible sur une liste de la majorité présidentielle quand arriveraient les élections régionales.
Pour ses employés, plus de 150, essentiellement des femmes sous-qualifiées ou des intérimaires, Marc Albert Simon était l’Ordure. L’Ordure avec un O majuscule.
L’Ordure qui jouait le chantage à l’emploi pour pressurer les salaires et recourir de façon de plus en plus fréquentes aux heures sup, ce qui lui évitait de créer des postes. En plus, il les payait de manière très aléatoire. « De quoi vous plaignez-vous, elles sont défiscalisées… C’est un vrai paradis fiscal pour les travailleurs, ma boîte, pas besoin d’aller planquer votre pognon à la Barbade ou dans les îles anglo-normandes…» avait-il coutume de dire quand certaines ou certains grognaient devant les semaines de 45 ou 50 heures qui s’enchaînaient les unes après les autres.
Personne n’osait lui objecter que défiscaliser du pognon dont on ne voyait pas la couleur ne rapportait de toute façon pas grand-chose. L’Ordure disposait en effet d’un syndicat maison ultramajoritaire au comité d’entreprise où l’opposition était représentée par un vieux de la CFTC pour faire croire au pluralisme. L’Ordure faisait harceler méthodiquement par la maîtrise aux ordres les quelques syndicalistes isolés de la CGT ou de SUD qui tentaient en vain de monter une section d’entreprise. Comme beaucoup de types de sa génération, l’Ordure
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