#19 Camille Etienne : « Être activiste, c’est questionner tout le temps notre manière au monde »

Entretien avec Camille Étienne
Camille Etienne, activiste du climat, porte-parole du mouvement « On est prêts » et co-fondatrice du duo « Pensée sauvage » - Photos par Olivier Roller

Entre coupable et complice, la limite est fine… Camille Etienne, activiste du climat, porte-parole du mouvement « On est prêts » et co-fondatrice du duo « Pensée sauvage » est venue prendre le micro de Charles.

A seulement 22 ans, étudiante à Sciences Po, elle a décidé de faire une pause pour s’engager pour la planète, le climat et cette course mondiale vers l’irréparable. Dans ses yeux dansent des forêts verdoyantes, des géants de glace et un climat apaisé.

Sa stratégie ? S’appuyer sur la science pour s’informer, se nourrir d’études et sensibiliser. Mais aussi l’art, qu’elle met avec un collectif au service d’un message qui se veut toujours plus urgent : la lutte pour le climat.

Alors que notre planète suffoque, elle invite chacun à se responsabiliser, individuellement mais aussi collectivement.

« Par notre endormissement, par notre flemme, on devient complices »

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Extraits du podcast ‘Dans l’oreille de Charles’, série ‘femmes d’influence’,
Interview menée par Marine Peltier

Dès que j’ai compris que nous avions la capacité de menacer la nature par notre inconscience et notre flemme, je me suis dit qu’il était de mon devoir d’agir car je fais partie des 10 % de la population les plus riches. De mon côté, j’ai une posture de privilégiée : j’ai accès à de grandes études qui me permettent d’obtenir les codes de ces gens de pouvoir afin de pouvoir infiltrer leurs réseaux.

Nous faisons partie des privilégiés qui ne payons pas les conséquences du réchauffement climatique mais qui en créons les causes : nous sommes responsables.

Aujourd’hui, mon quotidien varie en fonction des moments, mais j’essaie toujours de garder un tiers de ma journée pour apprendre, passer du temps à lire et à m’informer, afin de m’assurer que les chiffres que je porte sont les bons et d’être au courant des derniers rapports publiés. J’ai l’immense privilège d’être en contact avec des scientifiques qui prennent le temps de vulgariser leurs découvertes et de répondre à mes questions. Je n’ai pas de formation scientifique donc j’essaie d’apprendre par moi-même.

J’essaie de dédier le deuxième tiers de mes journées à la participation à l’“écosystème climat” en créant des mobilisations collectives autour de la loi climat. Par exemple, je cherche différentes façons de faire du lobbying auprès des députés. C’est quelque chose que je mène principalement au niveau européen, aux côtés d’Adélaïde Charlier.

Enfin, la troisième partie concerne ce qu’il se passe devant les caméras. Le but est d’infuser toutes ces idées et cette parole de la science dans les médias, que ce soit sur BFM TV, Instagram ou France Culture. Il faut s’adapter à tous les types de publics qu’on peut rencontrer.

Activiste-lobbyiste

Le lobbying est un vrai métier, c’est quelque chose qui est réel, qui existe, qui est légal. Nous avons beaucoup de sujets à régler dans notre manière d’habiter le monde : elle est complexe et les preneurs de décision ne peuvent pas tout connaître sur tout. Cependant, nos dirigeants doivent régulièrement prendre des décisions rapides sur un sujet. Pour cela, ils rencontrent les acteurs principaux sur ce sujet, et dans l’idéal des acteurs très différents, comme dans le cadre de la Convention citoyenne pour le climat, qui regroupait des grands dirigeants de Carrefour et des militants écologistes. Malheureusement, c’est différent dans la vraie vie car il y a une question d’argent. Les grandes entreprises qui ont beaucoup plus d’argent ont des lobbies très forts, comme dans les secteurs du pétrole ou du plastique, et ont d’ailleurs pendant un certain temps fait reculer notamment des moratoires sur des lois. Nous devons réussir à contrer ces mécanismes en incarnant ce lobby citoyen, sachant que nous défendons uniquement le vivant. Il n’y a pas d’intérêts économiques derrière le vivant.

« Nous défendons uniquement le vivant. Il n’y a pas d’intérêts économiques derrière le vivant »

Suite à la notoriété que j’ai pu avoir, j’essaie de rencontrer des dirigeants. Avant ces rencontres, je prends contact avec les experts sur le sujet donné pour disposer de tous les éléments. J’essaie de faire le mélange de toutes ces sources d’information et j’essaie de convaincre ces dirigeants sur tel ou tel sujet.

Loi climat

C’est la loi de la décennie ! Emmanuel Macron s’est engagé à faire passer sans filtre les mesures de la Convention citoyenne pour le climat mais malheureusement, cela n’a pas été le cas. Les idées ont été vidées de leur substance.

150 personnes tirées au sort ont travaillé afin de proposer un plan d’action concret dans le but de réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France de 40 % d’ici 2030. Ce qui est inquiétant c’est que cette loi climat, censée retranscrire une bonne partie des mesures de la Convention citoyenne, n’est pas du tout à la hauteur. C’est ce que conclut le Haut conseil pour le climat dans son rapport publié il y a quelques jours.

Guerre des générations ?

C’est quelque chose dans lequel on aime beaucoup m’enfermer. Les journalistes le présentent très souvent comme un combat : millennials vs boomers… Mais la lutte pour le climat va bien au-delà, elle ne s’inscrit même plus dans une projection pour les générations futures car l’urgence est immédiate. Les conséquences du réchauffement climatiques sont déjà là et elles sont visibles.

Je ne crois pas que ce combat soit générationnel, c’est un combat de l’humanité pour elle-même, pour sa propre survie et pour qu’elle n’embarque pas dans sa chute une bonne partie du vivant.

« Le concept de “boomers” n’est pas uniquement une question d’âge. Pour moi c’est un concept qui définit tous ces gens qui sont attachés à ce qu’on pourrait appeler le “vieux monde” « 

À mon sens, le concept de “boomers” n’est pas uniquement une question d’âge. Le terme vient des baby-boomers, il est donc associé à la base à une génération. Mais pour moi c’est un concept qui définit tous ces gens qui sont attachés à ce qu’on pourrait appeler le “vieux monde” : ces valeurs qui régissent aujourd’hui notre société et ces mythes qu’on a pris pour des réalités mais qui n’en sont pas, tels que le mythe de la croissance infinie dans un monde aux ressources illimitées, ou encore le mythe de la grande machine du capitalisme qu’on ne peut pas arrêter et qu’on ne peut pas détourner.

Malheureusement, la réalité est celle des limites planétaires, d’un monde aux ressources limitées, d’un réchauffement en cours qui aura des conséquences dramatiques et drastiques sur nous et sur le vivant. Ces réalités ne représentent pas une idéologie.

Grandir en altitude

J’ai grandi dans un endroit très préservé où la nature a une grande place, dans village est à 600 mètres d’altitude aux portes du parc national de la Vanoise. À la maison, il n’y avait pas la télé, les réseaux sociaux ou encore Internet, mais on lisait beaucoup. C’était une ancienne ferme de mes arrière-grands-parents qu’on a rénovée. Au début, il n’y avait ni électricité, ni eau courante. On se chauffait au bois et on s’occupait de notre jardin.

J’ai passé mon bac option montagne. C’est vraiment incroyable d’avoir cette chance ! Chaque semaine, nous disposions d’une après-midi pour faire du biathlon, de la course d’orientation, des randonnées avec nos professeurs. Nous disposions également de quelques semaines banalisées pour réaliser des expéditions comme le tour du mont Blanc. Il fallait apprendre à se servir d’une carte, se repérer avec la boussole, tracer des courbes. C’était l’apprentissage de la montagne, de la nature, des plantes et des reliefs.

« Mon frère et moi n’avons pas été éduqués dans la consommation car cela n’a jamais été une valeur dans notre famille. Faire du shopping n’était pas une activité associée au plaisir »

Mes parents étaient totalement écolos, non pas le sens militant du terme mais dans les faits. Mon frère et moi n’avons pas été éduqués dans la consommation car cela n’a jamais été une valeur dans notre famille. Faire du shopping n’était pas une activité associée au plaisir. Nous mangions très peu de viande car nous disposions les légumes de notre jardin et respections beaucoup les paysans qui étaient autour de nous et qui nous nourrissaient directement.

C’est une chance car je n’ai pas eu à me poser de question sur tous ces sujets. Ces habitudes faisaient partie de mon quotidien et c’est au contraire plus tard, quand j’ai réalisé que ce mode de vie était particulier et n’était pas représentatif du reste de la société, que j’ai pris une claque.

Une écolo rue Saint-Guillaume

Chez moi, j’étais l’intello dans un monde où ce n’est pas très valorisé. En entrant à Sciences Po, j’étais ravie de me retrouver avec des paires : des gens qui avaient cet amour pour les idées et les études. En même temps, j’avais l’impression de n’appartenir à aucun des deux mondes. Dès que je rentrais chez moi en montagne, j’étais l’intello de Paris, et à Paris, j’étais la fille qui vient de la montagne. Je suis donc passée par une quête de sens au début, parce que je n’avais pas tous les codes.

J’ai voulu entrer à Sciences Po car j’avais la naïveté de croire que j’allais pouvoir participer à changer le monde. Pour autant, les débuts de mon engagement militant n’ont pas toujours été bien reçus par mes camarades car je bousculais un peu les codes, en osant m’impliquer en politique de manière différente, plus directe et sans passer par les canaux traditionnels, sans attendre d’être passée par l’ENA pour pouvoir parler.

Entretien avec Camille Étienne
« J’avais l’impression de n’appartenir à aucun des deux mondes. Dès que je rentrais chez moi en montagne, j’étais l’intello de Paris, et à Paris, j’étais la fille qui vient de la montagne »

Mais contrairement à ce que l’on peut voir, Sciences Po est une école qui aime la dissidence : il y a, tant du côté des élèves que de celui des professeurs, des personnes qui sont très différentes, ce qui génère beaucoup de débats.

Sciences Po est une école tellement diverse qui forme à tous les métiers : elle compte à elle seule une école de journalisme, de droit, d’économie, etc. Elle compte des milliers d’élèves et de professeurs, donc des milliers de parcours. Un élève à l’école d’urbanisme de Sciences Po qui passera sa troisième année au Costa Rica n’aura pas la même expérience de Sciences Po que celui fera sa mobilité à Harvard pour finir en finances et stratégie !

En somme, Sciences Po aide à développer une certaine capacité de réflexion et un esprit de synthèse. C’est ce que cette école m’a appris : j’ai la capacité d’absorber des connaissances et de faire le lien entre tous ces arguments pour en faire ressortir quelque chose de digeste, de court, concis et impactant. Sciences Po nous apprend également à communiquer : la parole est un pouvoir et un privilège. Savoir manier la parole, c’est un privilège dans une société.

‘Réveillons-nous’

Lors du confinement de mars dernier, je suis rentrée dans mes montagnes avec mon meilleur ami Solal Moizan qui est réalisateur, son coloc chef d’orchestre et sa copine danseuse. Nous regardions la série ‘Years and years’ dans laquelle une grand-mère fait un discours et dit : “C’est votre faute, c’est votre faute ! C’est vous qui avez acheté le tee-shirt à 1€ à un moment donné !”. Cette scène a eu beaucoup d’impact sur moi car elle est à l’opposé de ce que l’on entend autour de nous. Moi-même, je cherchais toujours à avoir un discours qui ne serait pas culpabilisant. Il y avait des personnes ici avant nous et personne n’est à lui seul responsable, mais par notre endormissement et notre flemme, nous sommes complices !

Pour le clip ‘Réveillons-nous’, j’ai écrit le texte et Solal a réalisé la vidéo. Il voulait trouver un endroit plat, donc il fallait monter tout en haut de la montagne. Nous avions deux heures de marche pour y arriver, donc nous partions de nuit pour arriver au lever du soleil, deux jours de suite.

« Il est possible de porter un message en l’enroulant de quelque chose qui fait qu’il va mieux passer, qu’il ne va pas seulement toucher notre côté rationnel mais aussi recréer dans le ventre des gens cette envie d’agir »

Nous avons finalement publié cette vidéo sur une chaîne YouTube sans abonnés. C’était un essai et on se disait que dans le pire des cas, personne ne le verrait, mais cela nous a complètement échappé !

Il est possible de rendre nos combats plus artistiques en mettant de l’art dans nos manières d’agir, comme le fait Extinction Rébellion. Il est possible de porter un message en l’enroulant de quelque chose qui fait qu’il va mieux passer, qu’il ne va pas seulement toucher notre côté rationnel mais aussi recréer dans le ventre des gens cette envie d’agir.

Urgence climatique

Les personnes qui me trouvent trop pessimiste ne m’ont pas entendue, parce que ce n’est pas le cas. Je suis réaliste et même plutôt optimiste. Je dis souvent que les projections que l’on fait restent des projections et que les scientifiques se basent sur notre niveau d’action aujourd’hui, je garde donc beaucoup d’espoir. Certaines choses sont immuables mais beaucoup de données pourraient changer si d’un coup nous mettions toute notre énergie, notre intelligence collective, nos moyens économiques et sociaux pour étudier une meilleure habitabilité de cette Terre. Nous vivons dans un récit qu’on nous a présenté comme être le seul et l’unique, comme si nous n’avions pas d’autre choix que d’appuyer sur l’accélérateur et de se prendre le mur. Nous avons tendance à oublier tous ces autres futurs possibles qui le sont réellement !

Cependant, les chiffres nous montrent qu’on ne va pas pouvoir se contenter d’écogestes et qu’il va falloir mettre en place un engagement structurel global. J’adorerais que tout le monde lise des petits bouquins, écoute des podcasts et comprenne qu’il faut commencer à changer son quotidien, mais malheureusement, nous n’avons pas le temps.

« Nous avons tendance à oublier tous ces autres futurs possibles qui le sont réellement ! »

C’est en cela qu’une réponse structurelle de l’État est absolument indispensable. Cette réponse peut être contraignante ou incitative, peu importe du moment qu’elle soit concrète et qu’elle vienne d’en haut.

Il ne faut pas oublier que le gouvernement, l’économie et les citoyens ne forment pas trois entités distinctes. La personne est un consommateur et envoie constamment des signaux. De fait, quand je décide d’acheter ou de ne pas acheter quelque chose, je suis l’offre et la demande. L’économie se base sur cette demande que nous régissons, en tant que citoyens. Les personnes formant la société civile sont également ces chefs d’entreprise.

Je considère que pour être un bon écolo, il faut se renseigner. Il faut dans un premier temps faire cette démarche et être activiste plutôt qu’écolo. Être écolo, c’est un peu limitant. Être activiste, c’est de questionner tout le temps sa manière d’être au monde, une manière de penser.

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