#17 Marie-Amélie Le Fur : « Je ne me suis absolument jamais dit j’arrête de courir »

Marie-Amélie Le FurEntretien avec Marie-Amélie Le Fur , thlète handisport, triple championne paralympique française
Marie-Amélie Le Fur , Triple championne paralympique, présidente du Comité paralympique et sportif français - Photos par Olivier Roller

Marie-Amélie Le Fur, athlète handisport, triple championne paralympique française s’est confiée à l’oreille de Charles sur son parcours de sportive, ses combats et son envie de rendre le sport plus accessible aux personnes en situation de handicap.

Son nom retentit comme un espoir, la perspective d’un « c’est possible ». L’échec rime pour elle avec apprentissage. Arrêter de courir après son accident à l’âge de 15 ans qui lui vaudra une prothèse à la jambe n’était pas une chose envisageable. Se réinventer ? ça oui !

Elue présidente du Comité paralympique et sportif français en 2018, sa course contre la montre ne se joue pas seulement à l’entrainement, ni lors de ses compétitions. Le rythme effréné d’une sportive professionnelle, l’abnégation qui en découle et la force mentale qui fait, dit-elle, toute la différence…

A l’approche des jeux paralympiques de Tokyo en août prochain, on lui souhaite que cette course l’amène au sommet.

« Le handicap ce n’est pas avoir moins de capacités, c’est avoir des capacités différentes »

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Extraits du podcast ‘Dans l’oreille de Charles’, série ‘femmes d’influence’,
Interview menée par Marine Peltier

Je suis tombée dans le sport dès le plus jeune âge. Quand j’avais 6 ans, ma grande sœur voulait faire de l’athlétisme mais elle ne voulait pas en faire seule. Je l’ai donc accompagnée. À l’époque, ce n’était pas une vocation. Je n’avais pas forcément envie de poursuivre cette pratique à la fin de cette première année, mais mes parents m’ont encouragée à continuer. Il m’a fallu un peu de temps pour aimer l’athlétisme, le découvrir et comprendre ce qu’il pouvait m’apporter dans mon quotidien. Ce que j’aime, c’est la pluralité de ses disciplines. C’est finalement quand j’avais 15 ans, après ma première participation à des championnats du monde et après mon accident, que j’ai décidé d’exploiter ce potentiel à haut niveau. Mon accident aurait tout simplement pu marquer une rupture de ce lien avec le sport, mais c’est tout à fait l’inverse. L’athlétisme m’a permis d’accepter mon handicap, de mieux le maîtriser et surtout d’avoir confiance en moi.

Accident de scooter

À 15 ans, j’étais déjà une athlète, bien que sans volonté ni vocation de faire du sport à très haut niveau. À l’époque, mon rêve était de devenir sapeur-pompier professionnelle. C’est justement en me rendant à un entraînement des jeunes sapeurs-pompiers que je suis renversée par une voiture et, dès les premiers jours suivant cet accident, le diagnostic est sans appel. Les blessures sont très graves et j’aurai des séquelles à vie. Dans un premier temps, parce que l’amputation est synonyme d’échec médical, les médecins feront tout ce qu’ils peuvent pour sauver ma jambe. Mais même dans le meilleur des scénarios, il était clair que je ne pourrais jamais remarcher correctement et que je risquais de souffrir au quotidien pendant le reste de ma vie. Par chance – j’ai envie de le dire comme ça – les médecins ont finalement été contraints d’amputer pour diverses raisons médicales. Cette amputation m’a offert l’opportunité d’une nouvelle vie : celle d’une personne qui devrait au quotidien porter une prothèse, mais vivant sans douleur et avec la possibilité de se reconstruire au travers du sport.

Cette amputation m’a offert l’opportunité d’une nouvelle vie : celle d’une personne qui devrait au quotidien porter une prothèse, mais vivant sans douleur et avec la possibilité de se reconstruire au travers du sport

C’est la voie que j’ai très rapidement prise avec le soutien de mes proches, puisque quatre mois jour pour jour après mon accident, j’avais la chance de pouvoir refaire mes premiers pas de course. À l’époque, beaucoup de personnes voulaient que tout cela aille moins vite, que je passe par une période de deuil et de colère. J’ai sauté toutes ces étapes, aux côtés de mes proches, mais il nous aura fallu affronter les critiques et les préjugés pour faire avancer ce projet dont j’avais besoin. J’ai évidemment dû apprendre à me tenir debout, à me débrouiller sans la prothèse, à remarcher, à maîtriser cette prothèse extérieure à mon corps dans l’espace, en étant accompagnée par des professionnels dans un centre de rééducation. Tout est allé vite car j’avais cette chance d’avoir 15 ans et de ne pas me mettre de barrières.

Handisport

Je ne me suis absolument jamais dit “J’arrête de courir”, mais les championnats du monde d’athlétisme à Paris en 2003 m’ont marquée en ce sens car j’y ai vu une course de démonstration des athlètes handisport et des athlètes amputés hommes. C’est pourquoi un an après, lorsque l’on m’annonce que je vais probablement être amputée, je sais qu’il est possible de courir avec une prothèse.

J’ai contacté la Fédération handisport qui m’a très vite répondue et accompagnée. Cet épisode est synonyme de la découverte d’un monde parallèle dans lequel j’ai fait des rencontres magiques, magnifiques, des parcours de vie qui ne sont pas faciles mais qui me renforcent au quotidien dans la conviction qu’il faut qu’on apporte plus de sport dans la vie des personnes en situation de handicap. Sans cet appui dans les premières semaines suivant mon accident, je ne serais pas devenu une athlète de haut niveau. Je n’aurais pas fait les Jeux paralympiques actuellement. Je n’aurais pas atteint les fonctions dans lesquelles je suis. C’est en ce sens que je souhaite que les opportunités dont j’ai pu bénéficier soient offertes au plus grand nombre.

Pour de nombreuses personnes, le handicapé est forcément quelqu’un dont le handicap se voit. C’est forcément quelqu’un qui est triste et qui n’est pas féminine

Si mon histoire pouvait laisser une trace dans le milieu sportif, je souhaite qu’elle se traduise par un regard différent de celui que l’on peut porter habituellement sur le handicap. C’est d’ailleurs souvent une image que l’on me renvoie. Pour de nombreuses personnes, le handicapé est forcément quelqu’un dont le handicap se voit. C’est forcément quelqu’un qui est triste et qui n’est pas féminine. J’aimerais montrer que l’on peut totalement s’assumer en situation de handicap. Allier le bonheur, la féminité et le sport de haute performance reste possible.

Le sport n’aime pas les défaites

La défaite n’est jamais facile ni agréable, elle pique un peu l’ego. Mais l’échec et la difficulté font partie du quotidien du sportif. Je n’ai pas eu un parcours jonché uniquement de réussites. J’ai fait face à de gros échecs. Le plus important, ce qui révèle le tempérament d’un vrai sportif de haut niveau, c’est de savoir rebondir après cet échec et de faire en sorte qu’il ne soit pas inutile. L’échec est une forme d’apprentissage un peu brutal.

Il y a quelques mois, mes résultats en compétition n’étaient pas bons. Mon équipe et moi-même étions terriblement déçus de la saison automnale et finalement, ces échecs nous ont amenés à repenser totalement le modèle d’entraînement, à nous réinterroger sur ce que l’on voulait et quel objectif était visé. Puis six mois plus tard, nous avons battu le record du monde ! C’est la preuve que les moments difficiles et les échecs sont nécessaires et nous forcent à ne pas s’endormir sur ses acquis. Je pense qu’on en a véritablement besoin.

Une faiblesse mentale peut vous faire perdre en quelques secondes le travail de quatre années

Lors des championnats du monde en 2011 en Nouvelle-Zélande, je suis en forme, tous les voyants sont au vert : de plus, je détiens la meilleure performance mondiale sur le saut en longueur et le record du monde. Malgré cette période et ces signes positifs, je ne me qualifie pas pour la finale. Cet épisode a marqué un terrible échec alors que j’avais toutes les cartes en main pour y arriver.

La force mentale est absolument essentielle. Une faiblesse mentale peut vous faire perdre en quelques secondes le travail de quatre années. C’est la raison pour laquelle je prône le travail avec les préparateurs mentaux. Cela permet d’être au clair dans son projet afin de mieux le manager, de mieux le comprendre, et d’être plus sereins à l’heure d’affronter les difficultés.

Record du monde

Ce que j’aime dans le sport de haut niveau, dans le challenge qu’on se lance au quotidien, c’est de toujours chercher à challenger ses limites. Pour les Jeux d’Athènes, mon équipe et moi avions pour objectif un saut en longueur de 6 mètres 30. Cela représentait 10 centimètres de plus que le record du monde de l’époque. Ce record du monde représente une très belle victoire car finalement, cela nous montre qu’on a de limites que celles que l’on se fixe. Avec mes coaches et mon entourage, nous avons décidé de se fixer des limites qui sont toujours plus loin, toujours plus grandes, pour véritablement grandir et avancer.

L’athlète est indissociable de son équipe de coaches. Je pratique un sport individuel, mais c’est collectivement que l’on crée les performances. J’ai la chance d’être entourée d’une équipe expérimentée, pas forcément dans le champ du handicap, mais qui sait être suffisamment à l’écoute de ce dont j’ai besoin et qui s’adapte à chaque fois pour répondre à une complexité supplémentaire qui est ajoutée dans cette recherche de performance.

L’athlète est indissociable de son équipe de coaches. Je pratique un sport individuel, mais c’est collectivement que l’on crée les performances

Les “sacrifices” ne sont pas les mêmes suivant l’avancement de la carrière d’un sportif. Un jeune sportif ne fait pas de sacrifices mais des choix de vie. Aujourd’hui, je parle de sacrifices car cela fait plus de dix ans que je fais du très haut niveau, et je suis en parallèle installée dans une vie de couple, j’ai une fille. Ces choix de vie nous font nous centrer, non pas sur les plaisirs de la vie au quotidien mais sur ce que nécessite de réussir un projet sportif. Ce sont des sacrifices dans l’alimentation, dans les sorties, dans le mode de vie, dans l’absence, dans la distance à la famille. Encore une fois, l’idée est de savoir placer le curseur sur des choix de vie qui sont acceptables et qui ne sont pas trop difficiles pour l’athlète.

Sport et féminisme

Être une femme dans le milieu paralympique ne pose pas de difficultés. Il n’y a pas de différence même si nous aimerions qu’il y ait beaucoup plus d’athlètes femmes en situation de handicap qui pratiquent le sport. Il existe un réel déficit de pratique des jeunes filles et des femmes dans le milieu sportif, qui est d’autant plus marqué dans le mouvement paralympique. En revanche, il n’existe pas de différence entre les femmes et les hommes, en termes de reconnaissance des performances, de médiatisation, d’appui ou de sponsoring.

La problématique qui se pose est celle, plus générale, du renforcement de la médiatisation du sport féminin. Il nous faut lutter contre ces préjugés, ces discriminations et ces difficultés

Je ne pense pas qu’il faille prendre un axe spécifique femmes-handicap pour rendre le thématique plus visible, cela ne serait pas forcément pertinent. Je suis intimement convaincue, et cela se traduit par le travail que nous menons, que la problématique qui se pose est celle, plus générale, du renforcement de la médiatisation du sport féminin. Il nous faut lutter contre ces préjugés, ces discriminations et ces difficultés. Les modes de réponse qui s’ensuivront pourront parfaitement s’appliquer pour le monde du handicap.

France paralympique

J’ai présenté ma candidature pour la présidence du Comité paralympique et sportif suite à la démission d’Emmanuelle Assmann qui m’a fortement poussée vers ce mandat. Dans un premier temps, j’ai évidemment totalement décliné puisqu’en tant que femme, je ne me sentais pas à la hauteur, je pensais ne pas avoir les compétences. C’est finalement avec le temps, en discutant avec les membres du comité que j’ai décidé de me lancer. Ces discussions m’ont permis de me recentrer sur les forces de ma candidature. J’ai mis du temps à accepter, parce que je n’avais pas les mêmes compétences qu’Emmanuelle, l’ancienne présidente, que j’aurai une présidence qui serait différente de la sienne.

Le Comité paralympique et sportif français porte deux principales missions. Sa mission historique est de cultiver son lien avec le Comité paralympique international, de sélectionner et de mener la délégation française lors des Jeux paralympiques d’été comme d’hiver, ainsi que des Jeux européens de la jeunesse. J’ai par ailleurs cette volonté, en tant que représentante du Comité paralympique international, de faciliter l’accès au sport des personnes en situation de handicap et de faire du sport un levier pour l’inclusion des personnes en situation de handicap dans notre société. Le sport est véritablement utile. Celui-ci est d’autant plus bénéfique dès lors qu’il arrive tôt dans la vie des personnes en situation de handicap, qui sont alors en capacité de se découvrir et de démontrer aux autres à quel point le handicap, ce n’est pas avoir moins de capacités, c’est simplement avoir des capacités qui sont différentes.

Entretien avec Marie-Amélie Le Fur , thlète handisport, triple championne paralympique française
« Le handicap, ce n’est pas avoir moins de capacités, c’est simplement avoir des capacités qui sont différentes »

Le véritable objectif est de faire en sorte que demain, toute personne en situation de handicap sur le territoire puisse se tourner vers un club de proximité qui sera accueillant. Cela signifie que ses bénévoles et encadrants, même s’ils ne sont pas forcément formés, sont informés et n’ont pas peur d’accueillir une personne en situation de handicap. Par ailleurs, il faut évidemment travailler sur l’accessibilité physique des bâtiments et des lieux de pratique. Enfin, il faut créer les outils incitatifs à la pratique des personnes en situation de handicap. Il est indispensable de diminuer l’autocensure des personnes souffrant de handicap, qui pensent encore que le sport n’est pas pour elles. Pour cela, il faut travailler sur la censure parentale mais également sur la censure médicale, qui sont encore des réalités de terrain.

“L’important, c’est de participer” ?

Oui, j’ajouterai juste que l’important est de participer en ayant tout fait pour gagner. Peu importe si je ne gagne pas. À partir du moment où j’ai l’impression d’avoir tout mis en œuvre pour y arriver, mais que le jour J, je me suis fait battre par plus forte, je n’ai pas de regrets.

Le seul résultat sportif que je regrette concerne les Jeux de Pékin en 2008. À cette période, je n’ai pas la mesure de ce qu’est le sport de haut niveau, les Jeux paralympiques, et de l’investissement que cela demande implique. C’est un résultat que je regrette parce que j’avais la capacité de faire mieux si je m’étais plus investie. Je me suis donc fait une promesse en 2009 : ne plus jamais ressentir cette sensation de travail inachevé.

L’important est de participer en ayant tout fait pour gagner. Peu importe si je ne gagne pas

Lors des Jeux olympiques et paralympiques, les mêmes pays gagnent régulièrement un grand nombre de médailles. Le constat est mathématique : plus un pays est présent dans un grand nombre de disciplines et plus grande est sa capacité à gagner des médailles. Récemment, l’Agence nationale du sport a montré que la France était absente de 75 des disciplines paralympiques. En étant présent uniquement dans 25 des disciplines des Jeux, la capacité et les chances de ramener des médailles sur le sol français est plus faible. Cela souligne la nécessité de travailler sur la facilitation de l’accès de toutes les personnes en situation de handicap au sport car plus la masse de sportifs sera importante, plus nombreuses seront les personnes représentant la France aux Jeux paralympiques.

Le Questionnaire de Charles

Ce que faites-vous pour vous détendre quand vous avez deux minutes pour vous ?
Quand j’ai du temps pour moi, je passe du temps avec ma fille et mon mari. C’est le plus important ! C’est également pour cela qu’accueillir un enfant dans un modèle de recherche de la haute performance sportive nécessite de repenser le modèle d’entraînement.
J’adore également cuisiner, ce qui n’est pas très compatible avec mon profil de sportive de haut niveau, mais cela me détend.

La première chose que vous aimeriez faire quand la Covid sera derrière nous ?
J’ai envie d’aller au restaurant, d’aller se faire une bonne table avec mes proches, parce qu’on en a besoin et que c’est un cadeau que nous font les restaurateurs que nous faire une bonne cuisine.

Une chose que vous souhaiteriez changer à votre parcours ?
Je pense qu’une des choses que j’aimerais changer, bien que je ne sois pas forcément en capacité de le faire, c’est d’être plus proche de mon entourage, encore plus que ce qu’actuellement.
J’aimerais exprimer plus de reconnaissance pour mes coaches, car je ne l’ai peut-être pas toujours fait au bon moment. Je leur dirai merci, de façon peut être plus officielle, plus marquée ou plus importante.

La victoire qui vous le plus marquée ?
Le premier titre paralympique : le 100 mètres à Londres ! L’incertitude de la victoire qui la rend encore plus belle. Et le fait de voir cette équipe de France exulter du résultat, ça a été magique.

Un conseil aux personnes qui ont vu leur vie basculer suite à un accident ?
Je leur dirai de croire en l’avenir. Je sais que quand on vient de subir une situation difficile, on a du mal à avoir ce recul. Encore une fois, mon expérience en témoigne : derrière toute difficulté, toute tristesse ou tout moment tragique, de bonnes choses peuvent en sortir.

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