Objectifs atteints sur la transparence du lobbying avec la loi Sapin 2 ? En partie, oui.
Par Marion Deye
Quatre ans après la promulgation du texte relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique initiée par Michel Sapin, l’obligation pour les cabinets d’affaires publiques de déclarer auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), leurs actions d’influences a incontestablement changé la donne. « La France met en place l’un des dispositifs les plus stricts au monde », avait alors jugé l’Association française des cabinets de lobbying (AFCL) dans un communiqué.
Toutefois, le pli est pris et les avis sont désormais plus mesurés : « en levant le voile sur les clients, l’objet des actions menées et les montants dédiés, le texte a fait changer l’image du lobbyiste », estime Fabrice Alexandre, président de Communication & Institutions. D’aucuns pourtant jugent que le dispositif ressemble encore à une raquette à gros trous, et que les déclarations des cabinets sur leurs activités auprès de l’autorité indépendante ne montrent que ce que les intéressés veulent bien livrer…
Trous dans la raquette
De fait, les termes de la loi excluent de l’obligation de déclaration nombre de missions ordinaires des représentants d’intérêts. Celles qui s’affichent dans le registre de la HATVP répondent à des critères précis : avoir contacté une personne chargée de faire la loi et de conduire l’action de l’état pour influencer sa décision ; consacrer au lobbying plus de la moitié de son temps ou avoir réalisé plus de dix actions de ce type en douze mois. Autrement dit, tout le reste – veille, préparation de notes, dossiers et éléments de langage pour les clients ou campagnes de sensibilisation et interventions inférieures au seuil de 10 actions – n’ont pas à y figurer. Et n’y figurent d’ailleurs pas… A titre de comparaison, des pure-players des affaires publiques comme Boury Tallon & associés ou Anthenor Public Affairs jouent la carte de l’exhaustivité en déclarant respectivement à la HATVP 102 et 100 actions de représentations d’intérêts pour le compte de 76 et 43 clients en 2019, quand une agence de la taille de Havas Paris en affiche 2 et 2…
Le conseil aux Etats étrangers – offre qui contribue au chiffre d’affaires de nombreux cabinets – n’apparaît ainsi que très marginalement dans le registre de la HATVP. A l’automne 2020, un seul membre de l’AFCL déclarait des interventions de cet genre : le cabinet Euro2C présidé par Roland Branquart, pour le compte de l’ambassade d’Angola.
Chose sûre, la procédure de déclaration est chronophage. Pour fournir le rapport d’activités détaillant les actions menées, chacun y est allé de sa méthode interne (logiciel de gestion de temps, etc.). Mais pour l’avocat Philippe Portier, qui a porté l’Association des avocats lobbyistes sur les fonds baptismaux au début des années 2010, la lourdeur de ce reporting a peut-être fait renoncer à certains de ses pairs de persévérer dans l’activité. Le travail de recensement a été pris au sérieux (allant pour certains jusqu’à l’archivage de toutes les preuves des échanges avec les clients pendant cinq ans). Une vigilance de mise : la HATVP dispose d’un pouvoir de contrôles, lesquels ont d’ailleurs commencé.
Agendas ouverts et sourcing des amendements dans la ligne de mire
Les propositions du député du Bas Rhin (Modem) Sylvain Waserman ont relancé le débat sur la suffisance ou l’insuffisance du degré de transparence actuel. Dans son pré-rapport rendu en janvier 2020, le parlementaire, président de la délégation du Bureau chargée des représentants d’intérêts et des groupes d’études à l’Assemblée nationale, tente 25 propositions de réforme, issues notamment du brainstorming organisé mi-mai 2019 au Palais Bourbon « 48h Chrono : Regards croisés sur le lobbying ». S’y étaient croisés monde de l’influence, élus, ONG, acteurs institutionnels, professeurs.
Quelques-unes des suggestions du député promettent d’agiter les esprits, autant chez les lobbyistes que chez les « personnes chargées de faire la loi et de conduire l’action de l’état »… Parmi ces propositions notamment : la publication des agendas des parlementaires et le sourcing des amendements. Le sujet est dans l’air du temps. Les associations citoyennes et les ONG, comme WWF ou Transparency International, qui ferraillent de longue date pour encadrer davantage les pratiques du lobbying et réviser les termes de la loi Sapin 2, ont ainsi lancé en septembre 2019 une pétition intitulée « Lobbying à découvert », allant dans ce sens. Elle a été signée par plus de 20 000 personnes. Les deux organisations avaient à l’époque commandé un sondage à l’Ifop sur la perception du lobbying par les français. Selon l’enquête, 4 français sur 5 estimaient que les responsables politiques étaient trop influencés par les lobbies.
Transparence accrue et risque d’autocensure
Trois cents vingt-deux députés – dont 90 % appartiennent à la majorité – avaient également signé une tribune dans Le Monde du 9 octobre prônant la publicité des agendas des élus et la transparence sur l’origine des amendements. Cette initiative parlementaire s’est toutefois heurtée à la réalité : au-delà du fait que plusieurs élus s’étaient opposés à y faire figurer leur nom, la plupart des signataires n’ont depuis pas mis leur vœu en pratique… Scepticisme aussi du côté des lobbyistes. « Il ne faudrait pas que la transparence conduise à une forme d’autocensure, les élus préférant taire les rendez-vous avec certaines parties prenantes pour ne pas être taxés d’avoir été influencés par leurs arguments », prévient Fabrice Alexandre. L’obligation du sourcing poserait le même genre de problèmes. Sans compter, qu’il y a deux poids deux mesures selon que l’on appartient ou non à la catégorie des représentants d’intérêt telle que l’a définie la loi Sapin. Les ONG, les syndicats et les associations d’élus locaux en sont ainsi exclus et n’ont pas besoin de s’inscrire sur le registre de la HATVP. « Aucun ne se prive pourtant d’influencer », s’exaspère un lobbyiste. « Dire que la CGT et la Fondation Nicolas Hulot font elles aussi du lobbying est indispensable pour faire comprendre ce que c’est », estime François Massardier.
Autre piste avancée par Sylvain Waserman : le raccourcissement du rythme des déclarations des actions menées par des représentants d’intérêts pour leur clients, au motif que l’échéance annuelle actuelle est insuffisante pour assurer une réelle transparence. Cette position est partagée par la HATVP qui suggère de passer à un rythme semestriel. Pas sûr que l’idée soit reçue avec beaucoup d’enthousiasme par les intéressés. Sauf peut-être d’un point de vue concurrentiel… Le registre s’avère de fait « un excellent outil de benchmark entre les cabinets de la place », que tous analysent et surveillent très scrupuleusement…
Qu’exige la loi Sapin 2 des représentants d’intérêts
La loi Sapin 2 a défini les représentants d’intérêts ; mis en place un dispositif d’enregistrement, de publicité et de contrôle de leurs activités via un répertoire numérique public ; imposé des obligations déclaratives complètes mettant à la disposition du public nombre d’informations relatives aux relations entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics (textes concernés, budgets consacrés…) ; adopté un code de déontologie ; prévu des sanctions pénales en cas de manquement à ces obligations.
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Le pré-rapport du député Sylvain Waserman
Le rapport annuel 2019 de la HATVP
Rapport sur le poids des lobbys au Parlement, par le Projet Arcadie – juillet 2019
Rapport de Transparency International « Pour un meilleur encadrement du lobbying », 2019