portrait croisé des chouchous respectifs de Jean-Marie Le Pen et de Jean Luc Mélenchon.
Marion Maréchal et Adrien Quatennens incarnent le renouveau de la politique tricolore. Une génération de trentenaires qui maîtrise les nouvelles méthodes de communication et sait afficher des idées tranchées sans complexe. Portrait croisé de deux militants engagés que tout — idéologie, caractère, style de vie, éducation, religion … — semble opposer si ce n’est leur âge, leur capacité à occuper l’espace médiatique et leur volonté de peser dans l’échiquier politique.
par Capucine Coquand
Tout oppose le prodige de la France insoumise et l’héritière du trône Le Pen. Le premier grandit à Lille dans un cadre modeste loin de la vie médiatique, quand la seconde est dès son plus jeune âge bercée par les discours provocants de son grand-père entre les murs de la luxueuse propriété familiale. Les deux s’imposent quoi qu’il en soit aujourd’hui comme des incontournables de la vie politique française. Avec un style radicalement différent. « Marion Maréchal est une héritière au tempérament timide et réservé, alors que Adrien Quatennens est un militant de rue avec un caractère chaleureux et un réel sens de l’humour », note l’ex insoumis Thomas Guénolé. L’un, fidèle parmi les fidèles, est aujourd’hui élu, appartient à la gauche radicale et voue une loyauté absolue au leader de La France insoumise. L’autre, en véritable électron libre, n’appartient plus au parti qui lui a permis de siéger à l’Assemblée nationale entre 2012 et 2017, ne dispose d’aucun mandat et incarne sa propre ligne libérale, conservatrice et identitaire. Les deux millennials auraient-ils pour seul et unique point commun leur âge — il est né le 23 mai 1990, elle, le 10 décembre 1989 ? Pas tout à fait. L’un comme l’autre savent occuper le devant de la scène médiatique. Sans complexe. Il faut dire qu’ils connaissent parfaitement les rouages de la vie publique. Et pour cause : l’un et l’autre n’ont pas 20 ans quand ils mettent pour la première fois un pied en politique. Marion Maréchal est encore au lycée lorsqu’elle se rapproche de l’UMP avant de rejoindre les rangs du FN. De son côté, Adrien Quatennens n’a que 16 ans lorsqu’il s’engage au sein de l’association altermondialiste Attac et prend ouvertement position dans le cadre des manifestations autour CPE (contrat première embauche), événement qui marquera le point de départ de son engagement à gauche.
Éloquents et décomplexés
Il faudra toutefois attendre la campagne présidentielle de 2012 pour voir ce militant de terrain fouler véritablement le seuil de l’arène politique. Son candidat ? Jean-Luc Mélenchon. Bénéficiant d’une percée médiatique significative, le leader du Front de gauche entend réunir non seulement les déçus du PS mais aussi la nouvelle génération opposée au capitalisme moderne. Génération à laquelle appartient Adrien Quatennens. Militant de terrain aux convictions affirmées, le jeune lillois attire rapidement l’attention des cadres du Front de gauche qui lui confient de plus en plus de responsabilités. Si bien que, entre 2012 et 2017, il gagne en légitimité et multiplie les postes à responsabilité au niveau local d’abord, national ensuite. Marion Maréchal fera son entrée officielle en politique au même moment. Poussée par son grand-père, la jeune femme alors étudiante, est candidate aux législatives de 2012 dans la troisième circonscription du Vaucluse. Bénéficiant d’une triangulaire avec le PS et l’UMP, elle est élue au second tour avec 42,1 % des voix, détrônant ainsi son prédécesseur — Jean-Michel Ferrand — qui siégeait à l’Assemblée depuis 26 ans. Un tour de force incontestable pour la députée qui sera la seule porte-étendard du Front national dans l’hémicycle entre 2012 et 2017, son acolyte Gilbert Collard ayant été élu sous le sceau du Rassemblement Bleu Marine. Mois après mois, l’élue consolide ses discours et reprend à son compte les thématiques emblématiques de la droite conservatrice : priorité nationale, politique d’immigration, aides sociales… : « Sous prétexte de ne pas stigmatiser, vous laissez s’instaurer l’impunité et l’injustice au profit des professionnels de l’arnaque (…) Comment pouvez-vous ignorer le scandale de la fraude sociale quand vous en demandez toujours plus aux classes moyennes qui sont tout juste bonnes à payer pour vous, pour le fraudeur, le casseur et le polygame », lance-t-elle en 2013 à l’Assemblée, face à la ministre de la Santé. Des propos décomplexés et un discours affirmé qui font de Marion Maréchal, une personnalité incontestable de l’opposition jusqu’en 2017. Une mandature plus tard, le disciple de Jean-Luc Mélenchon saura lui aussi s’imposer comme une figure de l’opposition. Élu avec 50,1% des voix, le député de la première circonscription du Nord prend très vite ses marques. Comme Marion Maréchal, l’insoumis sait capter l’attention et n’hésite pas à bousculer les élus de la majorité présidentielle. En 2018, alors que le débat porte sur l’interdiction du Glyphosate en France, Adrien Quatennens interpelle les députés de La République en Marche : « Chers collègues, vous dites que vous êtes d’accord avec nous, mais que vous ne voterez pas avec nous pour la seule raison que vous avez confiance dans la parole divine du président de la République . Mais alors je vous demande : pourquoi êtes vous là ? A quoi servez-vous si seule la parole du Président, ses tweets et ses promesses suffisent à vous convaincre ? » Une éloquence qui permet au jeune député de tirer son épingle du jeu auprès des militants comme auprès des journalistes qui voient en lui le nouveau visage de la gauche radicale.
Séduire et agacer
Une faculté à attirer les projecteurs qui, pour Adrien Quatennens comme pour Marion Maréchal, séduit autant qu’elle agace. Y compris dans les rangs de leur propre famille politique. Dès 2012, alors que la présidente du Front National tente par tous les moyens de dédiaboliser l’image de son parti en se détachant de l’influence de Jean-Marie Le Pen, la jeune frontiste, elle, affiche une ligne libérale, conservatrice et identitaire. « A l’inverse de sa tante, elle assume volontiers son héritage avec son grand père, analyse Valérie Igounet, historienne spécialiste du Front national. Elle utilise toutefois une sémantique très différente et ne donne jamais dans la provocation. » Et ce n’est pas le seul point de divergence qu’elle entretient avec les cadres du parti. Car l’héritière du clan Le Pen prône une union des droites et rêve de faire « tomber les digues ». Un positionnement marginal au sein du FN qui vaut à Marion Maréchal d’être régulièrement recadrée par sa tante. Jusqu’à quitter le FN en 2017 pour des raisons politiques et personnelles. Rien de tel pour Adrien Quatennens. L’insoumis, qui s’inscrit de son côté pleinement dans la ligne idéologique du mouvement, bénéficie du soutien inconditionnel du patron de La France insoumise. Il est néanmoins la cible de certaines critiques, notamment lorsqu’il devient coordinateur national dans le courant de l’année 2019, s’inscrivant ainsi comme le numéro deux du parti. Une nomination qui fait grincer des dents en interne. La député Clémentine Autain n’hésite pas à pointer du doigt le manque de transparence autour de la montée en puissance du jeune député. D’autres, regrettent l’absence d’indépendance du militant et l’accusent d’être entièrement sous la coupe de Jean-Luc Mélenchon: « Il répète à la virgule près ce que dit le chef. Il a été nommé coordinateur national pour verrouiller le parti et mettre de côté ceux qui pourraient afficher une ligne divergente par rapport à celle de Jean-Luc Mélenchon », témoigne Thomas Guénolé. Une critique que réfutent, par médias interposés, les cadres du mouvement, notamment le député Eric Coquerel : « Sa nomination est apparue comme une évidence. Il a mené deux fois avec brio des débats de chef de parti à la télévision, il est respecté dans le mouvement et sait organiser les choses. »
Aux avant-postes
Organisé et méthodique, Adrien Quatennens sait exprimer ses idées avec clarté. Si bien que son aisance et son charisme ne font plus aucun doute. « Il est indéniablement très charismatique quand il est sur scène, reconnaît Thomas Guénolé. Il est comme habité.» « Il dispose d’une véritable maturité politique », note le politologue Jean-Yves Camus. Pas de couac, de déclaration hasardeuse, ou de « bad buzz » incontrôlé pour l’élu du Nord dont les qualités humaines semblent largement reconnues. « Il est, à titre personnel, très sympathique et chaleureux, poursuit Thomas Guénolé, avant d’apporter une nuance : Sur le plan politique, il est en revanche capable d’avoir aucun état d’âme et d’agir de façon froide voire glaçante. » Aurait-il les qualités requises pour se porter un jour candidat à l’élection présidentielle ? Sans doute. Mais dans un avenir lointain. Non seulement parce que l’insoumis est encore peu expérimenté, mais aussi parce que Jean-Luc Mélenchon n’est pas prêt de passer le flambeau. Le leader de LFI a d’ores et déjà affirmé qu’il proposerait sa candidature pour l’élection de 2022, sous réserve d’une investiture populaire supposant la signature de 150 000 parrainages. Quoi qu’il en soit, Adrien Quatennens le loyal, sera aux avant-postes de ce rendez-vous électoral pour porter les idéaux de son parti. Pas de doute non plus concernant la présence de Marion Maréchal lors de la campagne. Pas en qualité de candidate, mais comme ambassadrice d’une certaine ligne idéologique. La preuve : celle qui préside aujourd’hui l’Issep — Institut de sciences sociales économiques et politiques — a récemment annoncé sa volonté d’alimenter le débat par le biais d’une structure indépendante : le centre d’analyse et de prospective. L’objectif ? La production de notes de décryptage sur l’actualité et de dossiers sur des sujets intemporels. Un think tank « qui ne sera pas au service d’un parti ni d’un candidat », promet l’intéressée qui renoue progressivement avec certaines figures de l’extrême droite comme Florian Philippot. « Elle incarne une alternative crédible pour certains électeurs du FN, notamment ceux qui estiment que Marine Le Pen prend un tournant trop ‘soft’», estime Jean-Yves Camus. Certains militants à droite le reconnaissent : « Elle apporte une touche de glamour aux idées conservatrices. Idées qui sont souvent associées à des personnes moins modernes dans leur style de vie. »
« Tuer le père »
De quoi permettre à la petite-fille de Jean-Marie Le Pen de peser dans la vie politique ? « Pour l’heure, elle se contente simplement d’organiser des conférences avec d’autres personnalités. Une somme d’individualités n’a jamais constitué un parti politique, poursuit Jean-Yves Camus. Ce qui fait aujourd’hui la notoriété de Marion Maréchal, c’est son nom, son allure et son âge.» Un constat que partagent certains militants. Si ces derniers lui reconnaissent une position iconique et une capacité à incarner une droite conservatrice, ils craignent que son manque de confiance en elle et son tempérament velléitaire soient pour elle un double handicap. « Elle est encore très jeune et a le temps de gagner en maturité, estime néanmoins Valérie Longuet. Je pense qu’elle a l’assise suffisante pour diriger un jour une nouvelle formation. Mais on en est loin. Aujourd’hui, elle pose ses jalons et se positionne comme une femme qu’on attend. » Seule certitude : Marion Maréchal et Adrien Quatennens disposent d’une aura, d’un charisme et d’un crédit auprès de l’électorat tricolore. L’un et l’autre s’inscrivent ainsi comme des personnalités avec lesquelles il faudra compter à l’avenir. Mais ils sont tous deux dans l’ombre d’une figure emblématique de la politique tricolore. Si bien qu’ils se contentent, pour l’heure, de placer leurs pions et de bâtir leur légitimité. Pour espérer s’imposer et envisager de candidater un jour à la sacro-sainte élection présidentielle, l’un comme l’autre devront, d’une manière ou d’une autre, s’efforcer de « tuer le père ». Qu’il se prénomme Jean-Luc ou Marine.
Capucine Coquand