Entretien : Pierre Sidos

Personnage aussi secret qu’important de l’extrême droite française, le fondateur du mouvement néo-pétainiste l’OEuvre française se raconte pour la première fois dans un entretien fleuve qu’il a accordé à notre journaliste David Doucet. Son histoire personnelle traverse les moments les plus sombres de l’histoire de France : la collaboration pendant la Seconde guerre mondiale, l’OAS et la défense de l’Algérie française ou encore l’attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle. Elle rencontre aussi celle des futurs ministres de la droite dite traditionnelle, tels que Gérard Longuet, Alain Madelin, ou encore Patrick Devedjian. 

PAR DAVID DOUCET
PORTRAITS PATRICE NORMAND / TEMPS MACHINE

Notre enquête sur L’Œuvre française débute par une après-midi pluvieuse de novembre à Reims, dans le salon d’un ancien cadre du mouvement. L’homme est nerveux. Sa main tremble. Au bout d’une dizaine de minutes de discussion, il la passe dans son dos, comme saisi d’un frisson… avant de rabattre sur la table un flingue intimidant. « Vous vous dites journaliste mais vous êtes qui exactement ? Je ne parle pas de Pierre Sidos comme ça ! ». Il faut sortir une carte de presse et prononcer quelques mots apaisants pour faire retomber la température. Approcher le mouvement parano-pétainiste fondé en 1968 par Pierre Sidos n’a rien d’une partie de plaisir.

Ses racines sont collaborationnistes, son imagerie fasciste, sa méthodologie musclée. Et son chef, un parrain tutélaire mais méconnu du nationalisme français. L’un des rares à pouvoir tenir la comparaison avec Jean-Marie Le Pen, du moins par la longévité et le bagage politique.  D’un an l’aîné de l’ex-président frontiste, Pierre Sidos est resté dans l’ombre de son rival. Il avait deux guerres de retard quand Le Pen n’en avait qu’une : c’est une première explication.

Né en 1927, en pleine montée des fascismes, Pierre Sidos s’engage dans un mouvement collaborationniste pendant la Seconde Guerre mondiale. Emprisonné à la Libération, il fonde ensuite, avec ses frères, le mouvement Jeune Nation, l’un des premiers groupes d’extrême droite durables de l’après-1945. Suite à la dissolution de celui-ci le 15 mai 1958, Sidos poursuit son combat pour l’Algérie française en clandestinité et aspire à renverser la jeune Vème République.  Après une nouvelle période d’emprisonnement, il fonde Occident. Quatre ans avant mai 68, il devient le mentor de toute une génération d’hommes politiques français, tels Gérard Longuet, Alain Madelin et Patrick Devedjian. Avant que ces derniers désertent l’extrême droite pour embrasser des carrières ministérielles.

Les ennemis de Pierre Sidos sont le juif et le bolchevik. C’est contre eux, et pour les valeurs de la France éternelle, qu’il s’active. Depuis 1968, il peaufine sans relâche la doctrine nationaliste au sein de L’Œuvre française. Surnommée « Église de la Sidologie » par ses détracteurs, considérée comme le dernier carré des pétainistes par ses fidèles, l’organisation cultive une discipline et une détermination rare dans l’extrême droite française. Sidos, qui entretient des relations ambiguës avec le pouvoir, les pays arabes et l’armée, n’a jamais renoncé à son rêve d’un coup d’État fasciste. Plus que nul autre, il s’est approprié la doctrine du fondateur de la Phalange espagnole, José Antonio Primo de Rivera, qui affirmait que « la révolution est l’œuvre d’une minorité résolue, inaccessible au découragement. »

Définitivement expulsé des feux de l’actualité à la fin des années 80, ce vétéran est un homme secret et taiseux, qui n’a accepté de nous rencontrer qu’à l’issue de nombreuses sollicitations.  En mars 2012, il nous a reçus au local de L’Œuvre française, en plein dans le quartier chinois de Paris.

Le XIIIème arrondissement a changé depuis quarante ans, pas les habitudes de Sidos. Sept années de captivité politique ou de clandestinité et deux inculpations pour atteinte à la sûreté de l’État ont fini de le rendre extrêmement méfiant.

Après nous avoir invités dans son bureau, où trône une croix celtique, il exhibe, sur plusieurs feuilles imprimées, les informations glanées à notre sujet sur internet. Avec une expression concentrée et un vocabulaire légèrement suranné, l’interviewé se fait intervieweur. Avant tout entretien, il nous faudra remplir une fiche de renseignements. Et le lendemain, le vieil homme postera une lettre à l’adresse que nous lui avons indiquée, histoire de vérifier la fiabilité de son interlocuteur. Manière aussi de dire qu’il sait où l’on habite, et qu’on est prié de tenir nos engagements.

Ces formalités accomplies, nous avons revu Pierre Sidos cinq fois, pour une durée totale d’entretien approchant les treize heures. Au fil des interviews et de l’enquête menée en parallèle sur son parcours, Pierre Sidos a, pour la première fois, fini par s’épancher. À 86 ans, chargé de secrets, le parrain des « natios » s’est peut-être dit qu’il était temps d’en lâcher quelques-uns…

Comment en êtes-vous venu à l’engagement politique ?

Le décès de mon frère aîné Jean a été un déclencheur. Quand il meurt le 16 juin 1940 en combattant les Allemands dans des conditions héroïques, le maire de La Rochelle Léonce Vieljeux est venu dans notre maison familiale pour annoncer à ma mère la nouvelle. J’avais 13 ans et j’étais parvenu à me faufiler pour assister à la discussion. Le maire avait ajouté cette réflexion : « L’ouvrier allemand a gagné la guerre », sous-entendu : l’ouvrier français l’a perdue. C’est ce qui m’a donné envie de m’engager à mon tour. Je me rappelle que ma mère s’est évanouie. Personnellement, j’ai tout de suite compris que je ne reverrais plus mon frère. Je n’ai pas pleuré car à l’époque, il y avait une telle familiarité avec la mort qu’il y avait une part de fierté de savoir qu’il avait pu donner sa vie pour la France.

Que représentait votre frère Jean pour vous ?

Nous étions six enfants, cinq garçons et une fille. Mais dans cette fratrie, j’avais une sympathie toute particulière pour lui. C’était le plus sérieux, le plus discipliné (dit-il avec les larmes aux yeux).  Lorsque nous étions enfants, nous nous amusions à reconstituer la marche sur Rome dans l’escalier de la maison familiale, c’était déjà très fascisant. Même si mon frère Jean est mort en combattant les Allemands, il partageait une ligne très nationaliste. Quand j’ai eu l’âge nécessaire, j’ai donc eu moi aussi envie de m’engager politiquement. D’agir durant cette période troublée. C’est ce que j’ai fait au sein de la jeunesse franciste de Marcel Bucard que j’ai rejointe en 1943 (le Parti franciste fut un mouvement collaborationniste ultra – NDLR). Dans ce mouvement qui s’apparentait à du scoutisme politique, j’ai participé à des activités sportives et à quelques congrès.

Quelle était l’ambiance politique au sein de votre famille durant votre jeunesse ?

L’ambiance familiale était très nationaliste et très marquée. Mon père était lié au député de Gironde, Philippe Henriot, qui deviendra par la suite secrétaire d’État de l’Information et de la Propagande du gouvernement de Vichy (surnommé « le Goebbels français » ‒ NDLR). J’étais également très proche des parents de ma mère, qui habitaient l’Île de Ré. Il se trouve que mon grand-père Jean Rocchi, d’origine corse, était bonapartiste. L’un des premiers livres que j’ai lus, c’était chez lui et c’était Le Mémorial de Sainte-Hélène. Il parlait souvent du nationalisme et du Second Empire et, parmi ses amis, il y avait Pierre Taittinger, un député de Charente-Maritime qui a fondé par la suite les Jeunesses patriotes, une ligue d’extrême droite française importante dans l’entre-deux-guerres.

Durant sa jeunesse, on a tendance à se placer dans le sillon politique de ses parents puis lorsque l’on grandit, beaucoup d’enfants finissent

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