Économiste mondialement reconnu, Yanis Varoufakis est passé de la théorie à la pratique en devenant ministre des Finances de la Grèce, en pleine crise. Dans ce long entretien, il revient concrètement sur les liens entre économie et politique. Et, tout en donnant au passage quelques conseils à Emmanuel Macron, il explicite la relation d’amour-haine que le capitalisme entretient avec la démocratie, « ce gouvernement des pauvres ». Particulièrement dans la zone euro…
PROPOS RECUEILLIS PAR CONSTANT MÉHEUT
PHOTOS ARNAUD MEYER
Vos écrits économiques sont imprégnés d’histoire politique. DansUn autre monde est possible – Pour que ma fille croie encore à l’économie ?, vous affirmez que lorsque l’Angleterre a envahi l’Australie, c’était pour une question de plus-value économique. La politique est-elle toujours dirigée par des motifs économiques ?
Toute tentative de séparer le politique de l’économique ou l’économique du politique est une erreur. Les deux sont en symbiose, profondément interconnectés. Dans mon livre, je montre que les sociétés qui créent de la plus-value économique, mais qui, en même temps, manquent de ressources naturelles deviennent des sociétés conquérantes. La plus-value donne naissance à la monnaie, à la dette, aux technologies, aux États, aux bureaucraties, aux armées et donc à la conquête territoriale, comme ce fut le cas pour l’Angleterre.
On retrouve ce lien complexe entre économie et politique tout au long de votre dernier livre, Conversations entre adultes, dans les coulisses secrètes de l’Europe, publié aux éditions Les Liens qui libèrent, dans lequel vous racontez en détail vos six mois de négociations avec les institutions européennes en 2015 pour le renflouement de la Grèce. Lors de votre premier Eurogroupe, Wolfgang Schäuble, l’intraitable ex-ministre des Finances allemand, n’a pas hésité à affirmer que « des élections ne sauraient changer une politique économique ». Un avertissement qui vous était directement destiné, alors que la Grèce venait d’élire au pouvoir le parti anti-austérité Syriza. Comment avez-vous réagi, et comment cela éclaire-t-il le lien entre l’économique et le politique ?
J’ai réagi en essayant d’utiliser un peu d’humour. Je lui ai répondu que cette affirmation ne pouvait que plaire au Parti communiste chinois, puisqu’eux aussi pensent cela. Schäuble n’a rien dit, mais n’a évidemment pas apprécié ma réponse… En réalité, la relation entre l’économique et le politique est une question de démocratie. La démocratie est une fleur très fragile, extrêmement facile à détruire. La démocratie, c’est l’exception, pas la règle. Nous l’avons eue à Athènes dans l’Antiquité, puis elle a disparu. Et elle n’est jamais vraiment réapparue, en vérité. Regardez les démocraties que nous avons aujourd’hui, regardez la Constitution américaine. Tout est fait pour maintenir le peuple à l’écart du gouvernement. Il s’agit de faire croire au peuple qu’il est consulté, sans pour autant lui donner le pouvoir de s’autodiriger. Aristote définissait la démocratie comme un système dans lequel les pauvres gouvernent, puisqu’ils représentent la majorité des citoyens. Nous n’avons jamais connu ce système. Cependant, l’économie, et plus précisément le capitalisme, a besoin de la démocratie. Le capitalisme déteste la démocratie tout autant qu’il en a besoin. Le capitalisme ne veut pas être contraint par le peuple, par les personnes qui sont pauvres. Mais, en période de crise, la seule façon de sauver le système capitaliste est de faire appel aux interventions étatiques qui sont légitimées par le peuple, d’où le recours nécessaire à la démocratie. À partir du XIXème siècle, les sociétés occidentales ont été progressivement démocratisées, et la démocratie était simultanément combattue et exigée par le capitalisme, selon un étonnant schéma amour-haine. Si nous ne faisons pas attention, c’est ce schéma, privilégié par Schäuble, qui va définitivement s’imposer, parce que les puissants ne
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