Voulez-vous coacher avec moi, ce soir ?

Certains s’en méfient, d’autres s’en abreuvent : les séances de coaching et de média-training destinées aux politiques leur permettent de s’entraîner et de perfectionner leur communication. Mais pourquoi les intéressés ont-ils honte d’en parler ? Histoire d’un mythe politique qui a muté depuis trente ans, sous l’effet des chaînes d’info en continu et des réseaux sociaux.

PAR JEREMY COLLADO
ILLUSTRATIONS CLEMENT QUINTARD

La langue française décrit le « tabou » comme une chose « dont on ne doit pas parler, par crainte ou par pudeur », un « interdit » qui agit à la manière d’une règle religieuse et dont la transgression provoquerait la colère des dieux. Au départ, le mot est rapporté dans les bagages des explorateurs célèbres du XVIIIème siècle, qui constatent alors, au fil de leurs voyages dans les îles à l’autre bout du monde, que le tabou protège l’harmonie d’une société. Si on le viole, le châtiment est automatique.

Il en va ainsi du « média-training » des hommes politiques, qui cachent aux électeurs la raison de leur efficacité sur les plateaux de télévision : comme n’importe quels acteurs de théâtre, les élus répètent et s’entraînent. Ils se regardent, puis se corrigent. Il se font coacher par des professionnels de la com’ mais ne souhaitent pas que s’évente le secret, de peur d’être taxés de manipulateurs de l’opinion ou pire, d’apparaître comme des robots insensibles, qui rabâchent des discours convenus dépourvus d’humanité et soufflés par un autre.

Dégonfler l’omerta

Pourtant aujourd’hui, le média-training s’avère essentiel à la modernité politique et médiatique. C’est un système fortement concurrentiel, asservi par les exigences économiques de rentabilité, qui n’admet que peu d’erreurs. Les producteurs télé n’invitent que des « bons clients ». Et ne prennent pas le risque de plomber leurs audiences deux fois de suite avec des mauvais. Quant aux politiques, ils doivent s’armer pour répondre à des journalistes qui adorent les torturer et raffolent en même temps de ces bêtes de cirques qui vont leur mâcher le travail tout en régalant l’audimat. Des politiques qui se battent dans l’arène face à leurs adversaires, mais aussi contre leurs camarades, prêts à les remplacer au pied levé s’ils se révélaient « plus vendeurs ».

Cela justifie-t-il pour autant l’omerta qui règne autour du sujet ? Si l’on en croit les communicants, le « média-training », c’est simplement apprendre à parler correctement pour bien se faire comprendre. Et maîtriser ses mots, donc son image. Tout simplement. « Contrairement à ce que l’on croit, on ne naît pas bon client. N’importe quel type qui passe à la télévision sans entraînement peut vite donner l’impression d’être un idiot, jure Philippe Moreau-Chevrolet, président de MCBG Conseil, dont la société facture des séances personnalisées d’aide « à la prise de parole publique », mais aussi des recommandations pour répondre habilement aux interviews radios ou de presse écrite. Le plus gros problème, c’est d’abord que les politiques ont peur des journalistes. Il faut donc les démystifier. Ensuite, c’est le manque de confiance en soi et l’incompréhension pour l’extérieur : certains politiques pensent qu’on est là pour les écouter éternellement… »

Pire : sans travail préalable, la plupart des politiques oublient vite le message clé qu’ils veulent faire passer dans une interview, en se laissant glisser par politesse dans le jeu des questions-réponses. Il n’y a donc aucune magie dans ces séances de travail appelées pompeusement « média-training » (l’anglicisme de « formation aux médias ») qui sont également destinées aux dirigeants de grandes entreprises. Non, il n’y a aucune magie, tout juste quelques « recettes » destinées à ne pas sombrer dans le tonneau des Danaïdes médiatique qui « lèche, lâche, lynche » comme le disait Jean-François Kahn. Aux journalistes Aurore Gorius et Michaël Moreau,

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