Mais qu’est-il arrivé au fondateur de SOS Racisme ? Lui qui, à 27 ans, était capable d’enflammer les Français des années 80 assis devant leur télé, s’est vu décerner ensuite dans les années 2000 par cinq fois le Grand Prix de la langue de bois. Comment Harlem Désir a-t-il pu passer de la parole haute en couleur à la grisaille bureaucratique ? Enquête sur une transsubstantiation socialiste.
PAR JEAN-BAPTISTE DAOULAS
PORTRAITS ARNAUD MEYER
Est-ce l’influence de la bouteille de Clan Campbell posée en évidence sur la table ? En cette soirée d’octobre 1987, Thierry Ardisson se montre bien sentimental sur le plateau de son émission hebdomadaire « Bains de minuit » : « Harlem, un soir je suis rentré chez moi. J’ai allumé la télé. Je ne pensais pas regarder la télé ce soir-là. Je t’ai vu à L’Heure de vérité. Je suis resté sur mon lit, tout seul, jusqu’à la fin. Le téléphone sonnait, et je laissais le répondeur prendre les messages. J’ai eu souvent les larmes aux yeux, parce que je trouve que ce soir-là tu as atteint quelque chose de grand. C’est à dire qu’au-delà des prises de positions politiques et sociales, tu as été humaniste sans doute, et humain certainement. Tout le monde te l’a dit. Je voulais te le dire, moi aussi. »
À peine deux mois plus tôt, le destinataire de cette déclaration enflammée livrait sur le plateau de « L’Heure de vérité » une performance que tout homme politique rêverait d’égaler dans un prime time de deux heures. Des formules qui claquent – « Dans les banlieues, commençons par réparer les ascenseurs » – des mots simples et percutants, et un taux d’approbation record chez les téléspectateurs. À seulement 27 ans, Harlem Désir a convaincu 70% des Français devant leur poste selon un sondage réalisé en temps réel. Le lendemain, le « 20 Heures » d’Antenne 2 revient sur le phénomène et donne la parole à des jeunes pousses issues de toutes les sensibilités politiques pour commenter l’émission. Un jeune sénateur socialiste de l’Essonne s’exprime pour la première fois à la télévision et clame son admiration pour les mots du président de SOS Racisme : « Peut-être qu’il faut nous mettre à cette école. Il faut savoir parler à la fois le langage de la passion, et celui des solutions simples et concrètes. » Près de trente ans plus tard, les rôles semblent s’être inversés : Jean-Luc Mélenchon est devenu l’un des plus redoutables animaux médiatiques de la Vème République tandis qu’Harlem Désir, lui, s’est vu décerner à cinq reprises le prix de la « Langue de bois d’or », cette récompense potache décernée par les journalistes accrédités aux universités d’étés socialistes de La Rochelle. Difficile de trouver l’exemple d’un changement d’image aussi spectaculaire chez une autre personnalité politique.
Depuis son bureau du Quai d’Orsay, Harlem Désir jette aujourd’hui un regard distancié sur cette trajectoire. « Le fait d’avoir été médiatisé aussi jeune crée aussi une forme d’attente un peu déformée dans les médias. Il faut savoir s’en échapper. Par définition, on n’a pas 25 ans toute sa vie. Je savais en faisant le choix de quitter SOS Racisme que je ne resterais pas dans cette position médiatique. » L’ancien patron de SOS ne semble pas malheureux d’avoir tranché avec la presse une relation de dépendance née en même temps que l’association, le 24 octobre 1984. À l’époque, il est indispensable
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