Tu parles, Charles Fiterman

Charles Fiterman est resté plus de quarante ans au Parti communiste français. Il y aura occupé des postes clés, en tant que secrétaire de Waldeck Rochet puis de Georges Marchais. En 1981, il est l’un des quatre ministres communistes à entrer au gouvernement. À travers l’expérience de Charles Fiterman, c’est l’histoire d’un parti hégémonique d’après-guerre et de sa dilution dans la deuxième moitié du vingtième siècle, qui nous est racontée ici.

PAR ARNAUD VIVIANT
PORTRAITS DG

Parlons un peu de vos origines. Vous êtes juif, votre père est mort en déportation, mais – et c’est peut-être un phénomène générationnel d’après-guerre – on a le sentiment que vos origines ne sont pas importantes dans votre parcours.

Vous touchez là à quelque chose de difficile à mesurer : quelles sont les raisons de tel choix de vie… Moi, je ne dirais pas que ça n’a pas été important. Du point de vue des croyances, il se trouve que j’ai côtoyé deux religions puisque j’ai passé la guerre, enfant, dans un pensionnat catholique – j’en ai un très mauvais souvenir – et  puis ensuite dans une famille catholique paysanne dans la Marne, sur le plateau du Velay ; le père était décédé mais la mère était une femme remarquable. Alors, pour jouer le jeu, j’ai disons « fait » l’école catholique. J’allais à la messe, je l’ai même servie avec la complicité du curé alors que je n’avais évidement pas le baptême catholique, mais c’est lui qui nous procurait nos cartes d’alimentation. J’ai été un très bon élève et j’apprenais tout ce qu’on me disait d’apprendre, j’étais premier au catéchisme. J’ai donc approché cette religion catholique. Puis la religion juive au sortir de la guerre, parce qu’avant, j’ai peu de souvenirs. Mon père est parti à la guerre en 1939, il en est revenu fin 1940 parce qu’il était dans la Légion étrangère, comme beaucoup d’immigrés juifs à l’époque qui s’y engageaient pour devenir Français. Ensuite on est restés ensemble quelques mois seulement, et puis, quand il y a eu l’Occupation en zone sud, on s’est dispersés. Donc je l’ai peu vu. Ma mère n’était pas croyante, et mon père l’était plus par tradition qu’autre chose. J’ai été baptisé selon le rite juif, mais  ce n’est qu’après la guerre que je me suis rapproché un peu de jeunes de mon âge qui allaient à la synagogue. Pour voir.

À Saint-Etienne ?  

Oui. Je me suis un peu approché, j’ai écouté, j’ai lu un peu. Je n’ai pas été tenté parce que je suis plutôt porté vers la rationalité. C’était peut-être aussi l’air de l’époque. Donc je n’ai pas rencontré Dieu. Et puis je commençais à m’intéresser en 1945-46 – parce que c’était une période politisée – au mouvement social, au marxisme, je faisais circuler des petites brochures avec des extraits du Capital de Marx qui résumait tel ou tel sujet, l’État, l’économie, etc. J’ai commencé à lire tout ça. Et puis, à un moment donné, il y a eu le débat : « aller en Israël ou pas ». C’était en 1947, ça commençait à monter. Je me souviens de discussions à la synagogue, je crois que certains ont été tentés, moi pas. J’ai même eu la réaction inverse, c’est-à-dire de penser : « Je suis Français, je suis né en France, j’ai survécu dans ce pays grâce à des familles françaises, je me sens bien dans ce pays, il y a des choses qui vont pas – mais c’est le monde qui ne va pas ». Je n’avais rien contre Israël, mais je ne voyais pas pourquoi j’aurais tourné les talons. J’avais déjà commencé à poser la question sociale avant la question nationale, et considéré qu’il fallait établir la justice là où on était. J’avais une vision cosmopolite, universaliste et non pas nationaliste. C’est ici qu’il faut se battre, pourquoi aller se battre ailleurs ? J’ai rejeté donc cette idée-là. Vous me dites : pas de référence à mon appartenance à la religion juive, mais je ne mettrais pas les choses ainsi, parce que, tout de même, j’ai été marqué par la guerre. Pour moi l’enfance a été la traque, toujours le sentiment d’être épié. Je ne me l’expliquais pas bien mais je le savais. Je

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