Ni juge ni flic

Charles a interrogé six journalistes d’investigation. Ils ne sont pas tous de la même génération. Ils ne tiennent pas tous le même discours. Ils sont parfois ennemis après avoir été amis. Quelques lignes signées de leur main, et nous voilà plongés dans les secrets de la République, de Bygmalion à Bettencourt, de Karachi à Cahuzac. Le journaliste d’investigation, nous répètent-ils souvent, n’est ni juge ni flic. Mais c’est bien là le seul point sur lequel ils s’accordent entre eux.

PAR LAURA POUGET
PORTRAITS PATRICE NORMAND

Davet-Lhomme, star-tandem

1989. Gérard et Fabrice, deux petits nouveaux, même pas 25 ans, se reniflent dans les couloirs du Parisien. Le rock, les filles et le foot, trois passions communes, achèvent de les rapprocher. Puis c’est une piste soufflée par le père de Gérard qui les met sur le chemin de leur premier scoop, un détournement de fonds à la mairie du XI^e arrondissement de Paris. En une semaine de porte-à-porte, le duo est né. Les années passent, Gérard quitte Le Parisien pour s’installer au Monde, tandis que Fabrice, l’indépendant du couple, trimballe son calepin de rédaction en rédaction, jusqu’à Mediapart, où il sort en 2010 la déflagration Bettencourt. C’en est trop pour Gérard, jaloux, qui convainc son ami de le rejoindre à la tête de la cellule investigation du quotidien du soir. Quatre ans plus tard, ils ont cosigné quatre livres d’enquête, dont la promo du dernier, Sarko s’est tuer fut largement assurée par la révélation d’un certain déjeuner Fillon-Jouyet. Aujourd’hui aussi médiatisé que caricaturé, le tandem a atteint les rêves de ses 25 ans, mais expérimente à présent les désavantages de la vie de vedette.

Fabrice Lhomme :

« Ce qui me plaît avant tout dans le métier ? L’excitation qui va avec. Je l’ai sentie dès la première enquête, quand Gérard est venu me voir avec cette histoire de financement illicite à la mairie du XI^ème. Mettre des personnalités en cause m’émoustillait. Étudiant, je rêvais de partir en reportage dans les pays interdits, Corée du Nord, Iran, et à l’époque, le bloc de l’Est. J’avais élaboré une liste de sujets potentiels, genre « la jeunesse dévoyée iranienne ». Aller voir derrière… Cela m’a toujours plu. Mais si je me penche bien sur la question, l’excitation ne fait pas tout. Je ne suis pas un écervelé. En bousculant les agendas, j’ai conscience de concourir à la salubrité publique. La preuve, je me suis ennuyé à L’Équipe magazine, où je sortais pourtant des scoops. Mais qu’est-ce qu’un sportif dopé face à un ancien président mis en examen… Le pouvoir est ce qui doit être contrôlé en priorité, et ce rôle social compte aussi pour moi. Beaucoup plus que pour Gérard, qui agit presque uniquement par plaisir personnel.

Nous menons deux types d’enquêtes. Les 100 % journalistiques, dont nous sommes entièrement à l’origine, sur la base d’informations recueillies auprès de nos sources ; et les autres, en parallèle avec la justice et la police, déjà sur le coup, et qui nous fournissent une partie de notre matière. Parfois, ce sont nos révélations qui conduisent à l’ouverture d’une procédure judiciaire. Cela m’est arrivé pour Karachi et Bettencourt, quand je travaillais à Mediapart en tandem avec Fabrice Arfi. Je n’y avais pas pensé avant, mais ce fut une victoire oui, dans le sens où cela actait notre travail. Une seule fois, un juge m’a contacté directement pour me demander de collaborer. C’était en 2000, sur l’affaire de la cassette Méry. J’étais au Monde à l’époque. Une vidéo posthume nous était parvenue, dans laquelle Jean-Claude Méry, homme d’affaires et ancien membre du comité central du RPR, se confessait sur les financements douteux du parti de Jacques Chirac. « Monsieur Lhomme, il nous faut la cassette. » J’ai dit non. Je ne suis pas auxiliaire de justice. Après, je dois reconnaître que