Michel Charasse, le vieux fusil

C’est dans son bureau de la rue de Montpensier, avec vue sur les colonnes de Buren, que nous avons rencontré Michel Charasse, pendant plus de trois heures. Le célèbre portrait de Mitterrand par Gisèle Freund trône au-dessus de lui. Sur le bureau de ce fieffé laïcard : une petite Constitution, un livre sur Machiavel, un autre sur Flaubert. Parfois ému jusqu’aux larmes par les souvenirs, l’ancien conseiller, sénateur et ministre du Budget contrefait parfaitement la voix et les gestes de celui qui fut son père en politique, puis son ami. À quelques mètres du bureau de Lionel Jospin, dans les couloirs feutrés du Conseil constitutionnel, on entendrait presque la voix de Mitterrand.

PROPOS RECUEILLIS PAR ASTRID DE VILLAINES
PORTRAITS TOM BUISSERET

À quoi pensez-vous quand on vous parle de François Mitterrand ?

À un ami fidèle, très proche, quelqu’un que j’ai beaucoup aimé et respecté. Un grand homme d’État. Un grand Français.

Comment le rencontrez-vous ?

Dans les couloirs de l’Assemblée fin 1962. J’étais jeune collaborateur au groupe socialiste, il était député au groupe du Rassemblement démocratique (groupe composé de députés du centre laïc – NDLR). J’ai ensuite fait sa campagne de 1965 avant celles de 1974 et 1981. Je le trouvais formidable. Il savait ce qu’il voulait. Il avait des convictions, ce n’était pas un arrangeur. Il combattait le général de Gaulle avec une détermination incroyable, il ne faisait aucune concession et, en même temps, il avait du fond sur tous les grands sujets. Alors que la SFIO était en perdition et qu’elle n’avait plus beaucoup de militants, lui tranchait sur toute cette grisaille. Il intéressait des milieux de gauche qui trouvaient, justement, la gauche un peu ringarde.

François Mitterrand était-il découragé au soir des défaites ?

Non, il rebondissait comme un ballon. Il a été accablé en 1958 quand il a dit à ses amis : « On en a pour vingt ans », mais il n’a pas posé le sac. Il est toujours reparti à la bagarre.

En 1981, est-ce que vous sentez que vous allez l’emporter ?

On se disait que l’usure allait finir par marquer la droite. En mars, j’ai pensé que c’était bon. François Mitterrand était sur Antenne 2, on lui pose la question de la peine de mort. Il répond qu’il l’abolira alors qu’une majorité de Français était contre. Voilà une position d’homme d’État qui ne se laisse pas influencer par les mouvements de l’opinion lorsque l’intérêt national est en jeu. Certains de ses amis, Roland Dumas, Jack Lang et d’autres, se demandaient : « Est-ce qu’il a bien fait ? Il n’aurait peut-être pas dû… » Ils n’avaient rien compris ! En sortant de l’émission je lui ai dit : « Vous venez de gagner. »

Reconnaissez-vous des hommes d’État après François Mitterrand ?

Je ne veux pas être désagréable avec ses successeurs, mais François Mitterrand était un homme de son temps, fabriqué par la République qui a lutté deux fois en 14 et en 40 contre la perte de la liberté. Georges Pompidou a connu la guerre, Valéry Giscard d’Estaing a fait la guerre, Jacques Chirac aussi, en Algérie. Ceux qui sont venus après ne sont pas du même bois. Nicolas Sarkozy et François Hollande sont des enfants de la paix qui n’ont eu à se préoccuper que de gérer au mieux leur jeunesse, et de réussir leurs examens. Les comparaisons sont impossibles.

Voyez-vous tout de même des différences dans leur façon de gouverner ?

François Mitterrand faisait partie d’une génération cultivée. Il avait une culture littéraire, philosophique et historique. J’ai participé pendant quatre ans et

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