« On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment », avait coutume de répéter François Mitterrand, empruntant cette phrase au cardinal de Retz. S’il prisait particulièrement cette maxime, c’est que le président de la République en connaissait la valeur : il l’avait éprouvée lui-même, avec les révélations de Pierre Péan sur sa jeunesse pétainiste. Les auteurs sous pseudo ont toujours une bonne raison de se masquer. Pour remuer le couteau dans la plaie ou simplement porter le fer face à leurs adversaires, ces chevaliers blancs de la langue usent de tous les stratagèmes. Ils perpétuent une sorte de tradition française qui veut encore espérer dans le pouvoir de la littérature. En voici trois exemples.
PAR JEREMY COLLADO
L’Énarchie, de Jacques Mandrin, aux éditions La Table ronde de combat (1967)
Véritables auteurs : les serviteurs de l’État Alain Gomez, Didier Motchane et Jean-Pierre Chevènement
Il se murmure qu’à Belfort, les trois motifs les plus régulièrement cités par certains électeurs du Front national pour justifier leur vote sont : l’assistanat, les immigrés et « les énarques » ! Jean-Pierre Chevènement, inventeur du mot avec ses camarades de l’ENA et fondateurs du CERES Alain Gomez et Didier Motchane, s’en amuse aujourd’hui. Il s’enfonce dans son siège, derrière son bureau de la Fondation Res Publica qu’il préside, rue de Bourgogne, et ironise : « Mais à Belfort, ils n’en avaient jamais vu un seul d’énarque ! »
Retour en arrière, quelques semaines avant Mai 68. En 1967 précisément, à leur sortie de l’école, trois rebelles se fendent d’un pamphlet au titre pompeux : L’Énarchie ou les Mandarins de la société bourgeoise. Un démontage en règle des codes de l’administration et du ballet des egos et des « roquets » de l’élite sociale, qui se déchire au concours d’entrée d’une école où, selon Chevènement, « on n’apprend absolument rien ». « Là-bas, je n’ai appris qu’à servir le vin, avec un petit coup sec du poignet pour éviter de tâcher la nappe » lance-t-il, le sourire taquin. L’ancien étudiant de la promotion Stendhal (1963-1965) dans laquelle on retrouve Lionel Jospin et Jacques Toubon déroule la suite de l’histoire :
« Avec Motchane et Gomez, nous nous étions rencontrés à l’École des officiers d’infanterie en 1961. Mais nous avons surtout fait ensemble la guerre d’Algérie pendant deux ans. Le retour à la vie civile a été très compliqué. On a donc intégré l’ENA. Nous sentions beaucoup plus mûrs que nos petits camarades, gentilles demoiselles et jeunes messieurs qui n’avaient pour la plupart pas vécu ce que nous venions de vivre, même si certains avaient fait leur service militaire. Pour nous, l’ENA apparaissait comme une énorme jésuitière. L’institution nous paraissait tout sauf respectable, d’autant plus qu’on n’apprend rien à l’ENA ! C’est un concours, l’ENA, c’est tout ; un parcours d’obstacles pour ceux qui sont déjà en haut. En voyant les élèves, tout nous paraissait dérisoire, comparé à la période sanglante de l’Algérie. On avait l’impression d’être à Clochemerle.
Nous écrivions déjà pour Combat, dirigé à l’époque par le journaliste Philippe Tesson. Nous avions tous les trois des pseudos ; Motchane écrivait sous le nom de Dragon,
Profitez de tous les articles de Charles en illimité !
Inscrivez-vous et bénéficiez de 8 semaines d’essai gratuit sans aucun engagement. Acheter l'article Tout Charles en illimité
Vous avez déjà un compte ? Identifiez-vous
Vous voulez lire la suite ?
Recevez chaque semaine Charles l'hebdo
pour 3€
L’hebdo, les podcasts, le site
Dès 6€ / mois