Maël Renouard a été conseiller technique chargé des discours au cabinet de François Fillon de septembre 2009 à mai 2012. Il revient pour Charles sur ces trois années passées dans les coulisses de l’Hôtel Matignon, au cours desquelles il a écrit comme un Premier ministre.
PAR MAËL RENOUARD
PORTRAITS PATRICE NORMAND
J’enseignais la philosophie à l’École normale supérieure, et mon contrat allait prendre fin, lorsque j’appris que l’on cherchait une plume à Matignon. C’était en juillet 2009. À plusieurs reprises, en particulier dans les mois qui suivirent l’installation du gouvernement Villepin, j’avais été tenté de proposer mes services à des cabinets ministériels, mais je n’étais pas allé plus loin que quelques entretiens, soit que ma candidature n’ait pas été retenue, soit que j’aie renoncé à multiplier les engagements, c’est-à-dire, probablement, à rompre ceux par lesquels j’étais déjà lié. La liberté où je me trouvais, le besoin que je ressentais de laisser reposer quelque temps mes travaux, l’estime que m’inspirait ce que je percevais du Premier ministre, enfin la qualité des échanges qui se nouaient à mesure que s’enchaînaient mes rendez-vous, firent que je résolus rapidement de prendre ce poste si l’on venait à me le proposer. J’eus à composer un discours fictif en guise de test. J’étais à Saint-Malo pour le week-end du 14 juillet. Le matin du départ, je commençai mon texte à la terrasse de l’Hôtel de France et Chateaubriand ; je l’achevai dans l’après-midi sur l’aire d’autoroute de Sargé-Sarthe-Le Mans, en faisant tant bien que mal abstraction du brouhaha d’une cafétéria. Les historiens de la Sarthe diraient certainement que c’est là une tout autre contrée que celle de Sablé, la ville du Premier ministre ; mais une association d’idées évidente et joueuse conduisit à baptiser ces quelques pages un peu grandiloquentes « l’immortel discours de Sargé-sur-Sarthe » (ce nom n’existe pas). Le lendemain, je rencontrai le conseiller spécial, Igor Mitrofanoff. Tandis que nous parlions, le Premier ministre entra dans le bureau, estival et souriant. Il me fallut quelques instants pour le reconnaître. Quand on n’y est pas habitué, ponctuer les salutations par un « Monsieur le Premier ministre » clair et distinct est un exercice semé d’embûches ; la formule paraît interminable et il y a matière à se heurter sur les mots. J’avais à peine fini de bredouiller qu’il était déjà reparti pour « nous laisser travailler ». Quelque temps plus tard, sur l’île de Nantes, à la fin d’une belle après-midi d’été, j’appris par un coup de téléphone que j’étais recruté. C’est ainsi que je rejoignis en septembre l’équipe de plumes constituée par Igor.
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Dans les discours antérieurs, dont je cherche à m’imprégner, je suis frappé par la disposition matérielle du texte. Cela ressemble à des versets, à la mise en page de Claudel où les passages à la ligne rythment toute la lecture. Les phrases s’étagent une à une, isolées. On saute à la ligne à la fin de chacune d’entre elles. La phrase est l’unité élémentaire du flux oratoire (une grande partie de notre travail consiste à tailler et retailler les phrases, jusqu’à l’obtention d’une forme épurée, dans les « trames » techniques que les conseillers spécialisés nous fournissent). Les angles qui marquent les structures intermédiaires – alinéas, parties – sont estompés au maximum. Les transitions arrivent par glissement insensible ou décrochement brutal. Quand on écoute un discours, on n’entend pas les paragraphes. Cela dépend des matières, mais si une certaine surprise peut prévaloir sur la logique, ou la chronologie, il n’est pas mauvais de miser sur elle. (Le discours de Malraux pour le transfert des cendres de Jean Moulin en joue admirablement, avec ses allers-retours incessants entre les périodes, entre la biographie et l’histoire.) Je me suis habitué très vite à cette manière de procéder, à cet effacement de la « mystique du plan ». Je l’ai peut-être même poussé un peu trop loin par moments : Igor me le dit un jour, alors que je m’étais engagé consciemment dans cette voie en ayant le sentiment de suivre son exemple.
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Lorsque je dis quelles sont mes fonctions, à plusieurs reprises l’on me demande si j’ai « passé un concours » pour faire cela ; comme s’il existait un
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