La Foire du trône

En s’éteignant le 3 avril 2012 au terme d’un règne de seize années qui lui avait permis de transformer une école ronronnante en un mastodonte international, Richard Descoings a laissé Sciences Po s’écharper comme jamais en cent-quarante ans d’existence. Dans une institution où toute opposition était inaudible et où l’on ne discutait plus, il y eut soudain beaucoup de cris autour de la désignation du nouveau directeur de l’établissement. Un lent processus qui aura mis un an à se décanter. Récit.

PAR BAPTISTE BOUTHIER
ILLUSTRATION ULYSSE GRY

Mais quel est cet endroit où l’on s’écharpe à coup de tribunes pas toujours bien écrites dans Le Monde, où l’adjectif « bourdieusien » est une insulte infamante ? Où l’on ne se met jamais grève et où deux « papy-flingueurs » de 71 et 78 ans font la pluie et le beau temps ? Où l’ancien directeur disait ouvertement avoir sa cour et où l’on parle, depuis sa mort, d’ancien et de nouveau régime ? Où l’on s’assoit depuis des dizaines d’années sur les principes juridiques et moraux que l’on est réputé enseigner avec brio, sans que cela n’émeuve grand monde ?

Bienvenue rue Saint-Guillaume, et pas seulement : rue des Saint-Pères, rue Jacob, rue Amélie, boulevard Saint-Germain, sans parler des six autres campus de Sciences-Po répartis un peu partout en France… Ce n’est pas un seul et unique endroit, mais une toile d’araignée, et c’est peut-être pour ça que le sage institut vient de vivre la période la plus trouble de son existence. « Plus vous êtes opposé à la direction, plus on vous éloigne géographiquement du centre », constate amusé un bon connaisseur de la maison. Et le bouchon a fini par sauter.

Il y a encore un an, personne n’aurait pourtant osé l’imaginer. C’est la mort de Richard Descoings, le 3 avril 2012, qui va tout changer. Descoings dirigeait – le verbe aura rarement été à ce point exact – l’IEP depuis 1996. Un règne magistral, charismatique et tout personnel : Richard Descoings était devenu Sciences Po, et c’était une évidence partagée par tous, aussi bien à l’extérieur, entre une presse conquise et une classe politique élogieuse, qu’à l’intérieur, où l’on avait fini par basculer dans le culte du chef. Quand le Bureau des élèves (BDE) organise une fête d’intégration pour les nouveaux étudiants de première année, la soirée s’appelle « Bienvenue chez Richie ». Quand celui-ci est réélu pour un troisième mandat, en 2006, puis un quatrième, en 2011, cela fait longtemps que toute forme d’opposition a disparu. « Un grand défaut de Sciences Po a été cette fascination pour Richard Descoings, estime un ancien proche du défunt directeur. Toute critique un peu virulente à son encontre se transformait automatiquement en un argument de plus en sa faveur. Il était extrêmement habile. On ne le contestait plus. Pour oser lui dire les choses, il fallait être sacrément courageux. »

Quand Richard Descoings meurt, donc, c’est à la fois Pyongyang et Berlin. Pyongyang : deux heures après l’annonce du mystérieux décès de leur directeur, retrouvé sans vie sur le lit d’un hôtel new-yorkais, des centaines d’étudiants de Sciences Po se rassemblent devant les grilles de la rue Saint-Guillaume et organisent une veillée improvisée à base de bougies, de fleurs et de larmes alors qu’il est 2 heures du matin. Les réactions politiques sont d’un unanimisme bouleversant, et même le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, se fend d’un communiqué d’hommage. Mais Berlin, aussi : en décédant, le tout-puissant Descoings lègue à l’IEP un système patiemment construit autour de sa personne. Sa personnalité lui permettait

Vous voulez lire la suite ?

Profitez de tous les articles de Charles en illimité !

Inscrivez-vous et bénéficiez de 8 semaines d’essai gratuit sans aucun engagement.
Recevez chaque semaine Charles l'hebdo

Essai gratuit 8 semaines

Acheter l'article
pour 3€

Acheter

Tout Charles en illimité
L’hebdo, les podcasts, le site
Dès 6€ / mois

S'abonner

Vous avez déjà un compte ? Identifiez-vous

X