Yann Moix se passionne depuis un moment déjà pour les deux Corée, multipliant films, articles et conférences sur le sujet. Dans ce texte inédit, le lauréat du prix Renaudot 2013 raconte son hilarante première journée dans la capitale de la Corée du Nord. Suivez le guide (suprême).
PAR YANN MOIX
PHOTOS MICHAËL SZTANKE
Les roues de l’avion se posent sur le tarmac, comme partout : la pesanteur existe à Pyongyang. Les lois de la gravité s’appliquent ; elles sont universelles. Je ne pense pas à avoir peur : le trac, plutôt. Comme avant d’entrer en scène. Le ciel est gris. Par le hublot, durant le voyage, j’ai vu des serpentins de routes, désertes. Des taches vertes, des bleus fluviaux. Pas un homme, pas une fourmi, pas le moindre véhicule et pas la moindre bête. Je vérifie mon passeport huit fois, les incompréhensibles tampons de mon visa. Hier, à Pékin, j’ai bu plus que de coutume : un couple s’est entretué devant moi dans des larsens de cris. Les bouteilles ont voltigé, les coups se sont abattus sur les corps.
À l’aéroport de Sunan, des poupées au teint de lys, flanquées de galons, diaphanes comme une pluie, vérifient mes papiers. Elles sourient. J’attends ma valise sur le tourniquet. Le contrôle a lieu. J’ai eu le réflexe, à Paris, d’arracher un autocollant japonais représentant un avion de guerre. Je m’attendais à une fouille serrée, vicieuse, maniaque : genre fibroscopie, biopsie. Les fonctionnaires sont hilares : ils savent que le pays où j’arrive, où mes pieds sont gravitationnellement incrustés, possède très notamment la réputation d’effrayer le bizuth. Peu enclin aux manifestations de l’héroïsme, qui chez moi est fort bien dissimulé, je suis à la lettre les injonctions, proposant moi-même qu’on inspecte des endroits délaissés de mon bagage. L’inspection est moins sévère qu’à Roissy. On me demande d’abandonner mon portable. Je remplis une fiche. Il me sera restitué au retour.
Un guide m’attend, qui porte pancarte : « Yann Joseph Moix ». Il a 30 ans, le teint beige, la coiffure d’un jouet, la face émaciée, arbore le costume affairé d’un trader, le sac en bandoulière. Un yuppie du matin calme. Il me serre une main sérieuse, inquiète déjà de ma présence. Mon existence représente un problème insurmontable dans son existence : il sera responsable de mon séjour, j’entends : de mon attitude. Il sera, pendant dix jours, avec une minutie d’entomologiste nabokovien, le biographe de mes faits et gestes, le spécialiste désigné de ma respiration, de mes inflexions, l’enregistreur de mes pas, l’exégète de mon comportement.
Monsieur Hong, dans un français dont la perfection n’a d’égale que la cristalline manière de Boileau, me demande mon passeport, qu’il glisse dans sa poche après l’avoir scruté avec l’attention de l’oncologue pour la tumeur maligne. Il s’inquiète, à forte suée, de ce que mon billet de retour soit « électronique », terme impérialiste qui avive son intranquillité et semble agacer son humeur : voilà le premier obstacle de taille à gérer. Nous nous approchons d’un bus vide ; il fait chaud, nous sommes en septembre. Le chauffeur, un vieux soldat sans grade, m’aide à placer ma valise dans la soute. « Gamsahabnida », dis-je (« merci » est un des cinq mots de coréen que je connaisse).
– Nous allons à présent nous mettre en route, oui.
Le bus démarre. Il n’est pas totalement vide : une jeune et belle Coréenne nous salue et continue sa conversation avec une amie au portable. Monsieur Hong s’assied à côté de moi, sa cuisse dûment plaquée contre la mienne. Il sort mon passeport de sa poche, un critérium, un petit carnet noir et, le sourcil convexe, prend quelques notes importantissimes. Il range mon passeport. Le décor défile, des champs, des arbres d’Auguste Renoir et des gens à vélo dedans, des gens de Jean Renoir.
– Où avez-vous appris à parler coréen, monsieur Yann ?
– Je ne le parle pas, hélas. C’est une langue très difficile.
– Si, vous le parlez. Vous avez dit « merci » au chauffeur sans accent, oui.
– C’est le seul mot que je connaisse.
– Oh oh, alors ça, je ne vous crois pas, hein. Vous êtes très modeste, oui.
– Je vous assure.
– Très bien, oui. Mais où donc avez-vous appris ce mot ?
– Au collège, quand
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