Tout le monde le sait : la justice est indépendante du pouvoir politique. Cela dit, comme l’a encore récemment démontré l’affaire Jouyet / Fillon, certains le savent moins bien que d’autres. Enquête auprès d’avocats, de juges et de procureurs sur un couple qui est supposé faire chambre à part, mais…
PROPOS RECUEILLIS PAR JEREMY COLLADO
ILLUSTRATIONS CLÉMENT QUINTARD
« Les pressions politiques, ce sont des histoires de journalistes. C’est n’importe quoi ! » Jean-Pierre Versini-Campinchi commence par balayer notre enquête d’un revers de main. En cinquante ans de barreau, l’homme dont l’allure est légèrement surannée, a plaidé les plus grands dossiers politico-financiers des années 90. Ce joueur de poker qui réunit ses amis depuis trente-cinq ans autour d’une des « plus vieilles tables de Paris », a par exemple sauvé la mise à Jean-Christophe Mitterrand, relaxé dans l’affaire des ventes d’armes à l’Angola. Aujourd’hui, c’est peut être sa réputation « d’avocat kamikaze » qui l’a poussé à prendre la défense de François Fillon, accusé d’avoir sollicité lors d’un déjeuner son ancien ministre, le secrétaire général de l’Élysée Jean-Pierre Jouyet, afin de faire pression sur la justice dans l’affaire des pénalités de campagne de Nicolas Sarkozy payées par l’UMP. Aux deux journalistes du Monde auxquels il s’est confié, Jean-Pierre Jouyet a reconnu : « Il pense que l’Élysée a toujours une main invisible sur la Justice. »
L’ancien Premier ministre dément cette version. « D’après vous, quand François Fillon rencontre Jean-Pierre Jouyet, c’est pour parler des derniers films qui sont sortis, des pièces de théâtre qu’ils ont vues, de la vie qui court, des souvenirs d’anciens combattants qu’ils ont ? » faisait mine de demander sur un plateau télévisé l’édile PS Julien Dray. Avec son franc-parler, Jean-Pierre Versini-Campinchi répond : « Mais quel est l’intérêt de Fillon ? Tout le monde sait qu’il suffit que Sarkozy éternue pour que toute l’administration lui tombe sur la gueule. Les juges le font chier depuis dix ans : ils n’ont pas besoin de ça pour intervenir » plaide l’avocat. Et quand le parquet a ouvert une information, il avait déjà reçu une dénonciation des deux commissaires aux comptes de l’UMP. Alors… » Il n’empêche, le calendrier laisse songeur : le 2 juillet 2014, soit huit jours après le déjeuner litigieux, une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet de Paris. Jean-Pierre Versini-Campinchi jure que « ce n’est pas sous pression politique », mais « au vu des seuls éléments » transmis « par les commissaires aux comptes de l’UMP. » Se faisant formel : « Des jugements fabriqués par le politique, je n’en ai jamais vus. Des jugements cons, en revanche, j’en ai vu des tonnes ! assène-t-il de sa voix truculente. Les politiques n’ont pas le pouvoir d’infléchir la justice. Au contraire, ils sont morts de trouille face à elle. »
« Des jugements fabriqués par le politique, je n’en ai jamais vus. Des jugements cons, en revanche, j’en ai vu des tonnes !, Jean-Pierre Versini-Campinchi, avocat de François Fillon
Pourtant, lorsqu’on discute avec des magistrats, tous racontent à l’unisson qu’ils ont subi des pressions. Sans toutefois admettre qu’elles ont eu des effets… Par exemple, l’ancienne juge d’instruction Laurence Vichnievsky prévient : « En France, on a une habitude de l’interférence du politique dans la justice. Et rien n’a changé depuis vingt ans. C’est critiqué par les politiques eux-mêmes au moment des élections, mais c’est pratiqué lorsqu’ils sont au pouvoir. Il est difficile de revenir sur une culture… » À l’entendre, c’est comme
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