Ils sont fous ces Saugeais !

À l’origine, on parle d’une boutade. En Franche-Comté, en 1947, un groupement de communes se rassemble en micronation, avec président, hymne, monnaie, douaniers et tout le toutim. Or, soixante-dix ans plus tard, force est de constater que l’organisation a su se maintenir, entre la blague attractive pour touristes et, qui sait, une véritable utopie politique. Reportage dans cette enclave jurassienne autoproclamée au sein de la République française : la République du Saugeais.

PAR LAURA DANIEL

« Est-ce que vous avez votre laissez-passer ? » À la sortie de Montbenoît, petite commune rurale du Doubs, un douanier en uniforme hèle une voiture immatriculée en Belgique. « Si vous n’êtes pas en règle, vous vous exposez à de sévères sanctions ! », ajoute son collègue, le képi enfoncé sur sa chevelure plus sel que poivre. Face à eux, les deux individus appréhendés ne semblent pas très impressionnés par la menace. Sommés d’ouvrir leur coffre, ils choisissent plutôt de descendre de leur véhicule et demandent même à se faire photographier auprès des autorités. Quelques mètres derrière eux, une dame dans sa 84ème année observe la scène dun œil rieur. Pour elle, pas d’uniforme, mais une écharpe officielle noir-rouge-jaune ornant sa veste vert pomme. « Je vous présente Georgette Bertin-Pourchet, notre présidente !», s’exclame le douanier face à des touristes ébahis.

À les voir s’agiter ainsi, on se demande un instant si ces énergumènes n’auraient pas perdu la tête. Il n’en est rien : nous sommes au cœur de la République autoproclamée du Saugeais, un petit territoire entre Morteau et Pontarlier, jouxtant la frontière suisse et qui, avec ses 7 000 habitants, ses 11 communes et sa superficie de 128 km2, fait figure de plus grande micronation française. Mais ici, pas de velléités indépendantistes ni d’utopie politique à fendre. Cette « publique » est uniquement folklorique ; elle a pour seule revendication la défense de son patrimoine culturel. Notamment à laide « d’animations douanes » comme celles-ci, organisées une centaine de fois par an, principalement à visée des bus touristiques. Les douaniers s’appellent Hubert Pagnot et Gérard Jeannier, dit « Gégé », tous deux retraités, qui empreignent ces actions de leur humour franchouillard et de leur accent franc-comtois prononcé. En tout, une dizaine de membres, tous bénévoles, composent les hautes sphères de ce minuscule État, dont le seul statut administratif est celui d’une association visant à promouvoir le tourisme local.

Pour comprendre l’origine de cette mascarade, il faut revenir il y a tout juste soixante-dix ans, en 1947. À l’époque, avant d’effectuer leur service militaire, les conscrits devaient passer devant un conseil de révision afin d’être sélectionnés ou recalés. La cérémonie était généralement suivie d’un repas, lequel avait lieu un soir de novembre à lhôtel de labbaye de Montbenoît, tenu par le couple Georges et Gabrielle Pourchet. La suite nous est contée par le dépliant remis aux visiteurs : «De nature facétieuse, Georges Pourchet demande alors au préfet : Avez-vous un laissez-passer pour entrer en pays Saugeais ?Le préfet se fait expliciter le particularisme du val et plein d’humour de dire : Mais cela ressemble bien à une République ; et à une République, il faut un président. Et le préfet de nommer Georges Pourchet président de la République du Saugeais, qui le sera jusqu’à son décès en 1968. »

Une histoire aux allures de légende urbaine, répétée de bouche-à-oreille depuis des décennies. Mais comment expliquer qu’une simple boutade lancée à la volée à la fin des années 40 soit aujourd’hui le socle de leur identité locale ? « On dit souvent que les micronations sont fantaisistes, qu’elles apparaissent par humour. Je suis très dubitatif là-dessus. L’humour, c’est surtout un moyen de rendre plus tolérable l’entreprise, sans que cela ne heurte les États constitués et reconnus, explique l’historien Bruno Fuligni, auteur de Royaumes d’aventure ditions Les Arènes), un atlas

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