Les interventions médiatiques de Frédéric Lordon sont rares. Cet économiste, qui se réfère plus volontiers à Spinoza qu’à Marx, a pourtant beaucoup à dire. Sur le Parti socialiste qu’il situe à droite de l’échiquier politique, sur Emmanuel Macron, sur Alain Finkielkraut, qui l’a comparé à Pol Pot, et bien sûr sur le mouvement Nuit debout dont il fut l’un des initiateurs, et dont il promet aimablement qu’il aura été « l’ultime tentative de soulèvement gentil ».
PROPOS RECUEILLIS PAR ARNAUD VIVIANT
PHOTOS PATRICE NORMAND
Dans votre dernier essai, Les Affects de la politique, vous vous intéressez aux mécanismes qui donnent de la puissance aux idées politiques. C’est exactement ce qu’il manque à la gauche en ce moment !
Avant toute réponse, il faudrait peut-être d’abord poser la question préjudicielle de savoir ce que c’est que la gauche, ou plutôt ce qui est généralement entendu quand on dit « gauche ». Or j’estime que l’un des grands obstacles à la compréhension de la situation politique contemporaine est que l’on persiste à inclure dans la gauche un parti comme le Parti socialiste, avéré de droite. Il s’ensuit une sorte de blocage cognitif qui fait obstacle aux révisions stratégiques les plus urgentes. En 1986, déjà, les sociologues Jean-Pierre Garnier et Louis Janover avaient écrit un ouvrage intitulé La Deuxième Droite. Le malheur des gens qui ont raison trop tôt – car eux avaient saisi avant tout le monde la réalité des évolutions en cours – est qu’ils sont inaudibles, renvoyés à l’outrance, et disqualifiés. Il aura fallu trente ans pour qu’on aperçoive combien ce diagnostic était exact. Je serais assez prêt à soutenir que le quinquennat de Hollande revêt un caractère historique, précisément parce qu’il aura rendu enfin la prophétie incontestable. Il faut maintenant enfoncer cette brèche pour que s’opère complètement la conversion symbolique, et que les gens reconnaissent le lieu politique véritable du PS : quelque part dans l’arc de la droite.
Vous en appelez à la disparition du PS ?
Par inertie, paresse intellectuelle ou collusion idéologique, toute l’éditocratie s’efforce de maintenir, contre l’évidence, l’idée que le PS serait de gauche, et maintient par-là, des adhésions anciennes, presque réflexes, qui bloquent toute recomposition à gauche. Il est bien certain que le jour où les électeurs se diront qu’un deuxième tour opposant Valls-Hollande-Macron à Fillon ne laisse le choix qu’entre deux candidats de droite – et que ceci n’est pas un choix –, les choses changeront considérablement. Tant que cette révision majuscule ne se produit pas, tout est figé. Il faut donc, oui, que ce parti disparaisse, comme le Pasok en Grèce. Mais la résistance à cette conversion, et à la disparition du PS, trouve une partie de sa ressource dans un mécanisme passionnel très puissant. Si vous expliquez à des gens qui ont voté pour le PS pendant des décennies que ce parti est de droite, il s’ensuit dans leur esprit qu’ils ont donc été de fait, des électeurs de droite. C’est un aveu qu’on ne se fait pas facilement à soi-même quand, se croyant « de gauche », on se découvre soudain tel qu’on a été si longtemps, en tout cas électoralement : de droite. L’homme politique habile devrait être celui qui sait trouver les mots adéquats pour leur dire : « Vous vous êtes trompés pendant des années, mais ça n’est pas grave, maintenant redevenez ce que vous vouliez être vraiment ! »
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