#01 Carole Delga : « Une présidente de région a plus de pouvoir qu’un ministre »

Entretien avec Carole Delga
Carole Delga, Présidente de la région Occitanie - Photo par Olivier Roller

Dans cet entretien à la fois intime et politique, elle  revient sur les grandes étapes de son parcours politique : de ses origines modestes jusqu’à Bercy, quand elle était secrétaire d’Etat et que son ministre de tutelle s’appelait Emmanuel Macron. Elle ne mâche pas ses mots contre le président de la République : sur sa soif d’ambition, sa méconnaissance des élus locaux et même de la France et des Français…

Fervente adepte de la décentralisation, elle considère que les régions de France sont aujourd’hui les vrais instruments du développement économique dans notre pays et elle réclame le transfert de nouvelles compétences, notamment en matière de politique de santé.

On l’a compris, Carole Delga n’aime pas beaucoup le parisianisme ce qui ne l’empêche pas de soutenir la candidature d’Anne Hidalgo pour la prochaine élection présidentielle.

Tendez l’oreille…

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Extraits du podcast ‘Dans l’oreille de Charles’, série ‘Les grands barons de la politique’
Interview menée par Thomas Thévenoud

La politique, un truc de riches

J’ai vécu mon enfance dans un petit village : Martres-Tolosane dans le Comminges. J’y ai été élevée par ma grand-mère dans un univers très bienveillant avec des voisins qui étaient – et qui sont toujours d’ailleurs – ma famille. C’était une enfance merveilleuse. Je passais beaucoup de temps à l’école, y compris en dehors des heures d’ouverture où j’aidais la maîtresse, et quand je rentrais à la maison, je continuais à jouer à l’institutrice. C’est comme ça que j’ai appris à lire à ma grand-mère en jouant.

Chez moi, on ne parlait pas du tout de politique. Ma grand-mère disait : “on n’a pas les sous pour parler politique”. Je viens d’un milieu très modeste. Pour nous, la politique c’était un truc de riche. Un truc pour des gens qui avaient les moyens – nous, on n’en avait pas, donc il fallait se fâcher avec personne.

Pour nous, la politique c’était un truc de riche. Un truc pour des gens qui avaient les moyens – nous, on n’en avait pas, donc il fallait se fâcher avec personne

Quand je suis devenue fonctionnaire territoriale à la ville de Limoges, j’ai gagné mon indépendance financière. Quand j’ai débuté ma carrière, ma première paie était significativement plus élevée que celle de ma mère.

Cette expérience m’a ouvert au monde. Le maire socialiste de Limoges Alain Rodet m’a permis d’être invitée à beaucoup d’événements culturels et de conférences.

Le goût des gens

Je n’ai adhéré au Parti socialiste que plus tard, à 35 ans, mais cette période a été très formatrice. Je ne dirais pas qu’on attrape le virus de la politique. Je pense que ce qui m’anime, c’est le goût des gens, le goût des autres, comme dans ce beau film avec Bacri.

Le jour où j’arrêterai, j’espère que ça sera de ma propre décision, et je continuerai à m’occuper des gens d’une autre façon. La politique, c’est d’abord d’améliorer le quotidien des gens. On a un véritable pouvoir de transformation, même si c’est un milieu qui a bien des travers.

De Bercy à l’Occitanie

C’est vrai que quand j’ai décidé de quitter le gouvernement de François Hollande en 2015 pour me présenter aux élections régionales en Occitanie, c’est vraiment une nouvelle vie politique qui a commencé pour moi. La région d’Occitanie est plus grande que 13 pays européens, c’est 6 millions d’habitants et, avant la Covid, c’était la région qui créait le plus d’emplois après l’Ile-de-France. C’est donc une région très dynamique qui regroupe 13 départements. Le défi que je devais relever, c’était celui de l’unité à faire entre deux anciennes régions. Il fallait apaiser et rassembler.

Pour moi, c’était un retour sur le terrain, après avoir été un an à Bercy en tant que secrétaire d’État. N’ayant pas fait Sciences Po ni l’ENA, venant de milieu très modeste, je n’avais pas de réseau et c’est sûr que cette année m’a permis d’en constituer un. Mais au bout d’un an j’ai dit “ça suffit”.

La question d’être une femme n’a jamais été un problème à Bercy. En revanche, ce qui était plus difficile, c’était de venir d’un milieu modeste et de ne pas avoir fait de grande école. J’ai ressenti la condescendance de beaucoup de hauts fonctionnaires, une forte condescendance. Pour eux, j’étais une paysanne des Pyrénées, avec un accent à couper au couteau. Il y a beaucoup d’entre-soi, mais je pense leur avoir apporté une connaissance du terrain et un certain bon sens.

La question d’être une femme n’a jamais été un problème à Bercy. Ce qui était plus difficile, c’était de venir d’un milieu modeste et de ne pas avoir fait de grande école

La réforme territoriale et la création de grandes régions est une avancée importante, mais François Hollande restera dans l’Histoire grâce au mariage pour tous. C’était aussi sous ce gouvernement que le capital était plus taxé que le travail. C’est également ce gouvernement qui a recruté des policiers et des gendarmes et qui a créé les conditions d’une école plus émancipatrice.

Décentralisation/recentralisation

La création des grandes régions a eu un effet économique important sur la structuration des filières économiques. Ce n’est pas qu’une question politique ou une question de pouvoir. C’est d’abord une question économique, un moyen de structurer et de soutenir l’activité économique au plus près du terrain. Par exemple, chez nous, la filière aéronautique, l’agroalimentaire ou la filière des énergies renouvelables, de l’hydrogène. Désormais, les régions françaises sont à une taille européenne.

Par exemple, en Occitanie, nous avons un véritable effet de levier en matière de rénovation énergétique, en combinant les différentes aides de l’État ou de la région, en mettant en œuvre un vrai partenariat avec l’ensemble des professionnels du bâtiment et en créant des campagnes de communication et de simplification des démarches administratives pour les particuliers.

Je pense que j’ai plus de pouvoir qu’un ministre même si la France reste une République centralisée, malheureusement. Le pouvoir central, tout particulièrement sous ce gouvernement avec Emmanuel Macron, ne reconnaît pas la décentralisation et ne reconnaît pas assez l’action des exécutifs locaux. Il y a même une forte recentralisation.

J’ai plus de pouvoir qu’un ministre même si la France reste une République centralisée, malheureusement. Le pouvoir central, tout particulièrement sous ce gouvernement avec Emmanuel Macron, ne reconnaît pas la décentralisation et ne reconnaît pas assez l’action des exécutifs locaux. Il y a même une forte recentralisation

J’espère que Régions de France est devenu un lobby puissant car franchement, il y a une vraie énergie, une vraie connaissance du territoire et une vraie sincérité dans nos engagements.

Il y a une vraie solidarité et même une amitié entre les présidents de région et une vraie dynamique d’équipe au sein de Régions de France. Nous sommes tous au service de la France et de la décentralisation. Nous avons le sentiment de faire partie de la même équipe, l’équipe de France, au-delà de nos opinions politiques.

Alliances de projets et de valeurs

J’ai par exemple une très bonne relation avec Laurent Wauquiez, qui repose sur l’aspect générationnel sans doute, mais aussi sur cette indéfectible conviction et cette passion pour la France. Bien sûr, sur les aides sociales et l’assistanat, je suis en complet désaccord avec lui, mais on se retrouve sur la question de le réindustrialisation ou du développement de l’emploi, comme par exemple dans le cas de la reprise de la fonderie Aubert et Duval ou sur le développement de l’hydrogène. Avec les autres présidents de région, nous faisons des alliances de projet, mais aussi des alliances de valeurs et de principes sur les libertés publiques.

Nous sommes convaincus qu’il faut donner la priorité à une nouvelle souveraineté industrielle

Par exemple, au sujet de la crise sanitaire, il est normal que nous nous investissions et que nous puissions agir pour la protection de nos compatriotes. On nous reproche, à nous les présidents, d’avoir acheté des masques pour des visées électoralistes. Moi, j’ai 6 millions d’habitants qui vivent dans la région. Si j’ai acheté 22 millions de masques, c’est parce que l’État ne le faisait pas.

Sur la question de la réindustrialisation, nous sommes convaincus qu’il faut donner la priorité à une nouvelle souveraineté industrielle, que ça soit dans le domaine aéronautique ou dans le domaine des énergies renouvelables. Maintenant, nous souhaitons avoir plus de responsabilités et plus de compétences en matière sanitaire, et notamment d’investissements hospitaliers.

Emmanuel Macron

J’ai travaillé avec Emmanuel Macron quand j’étais à Bercy. C’était mon ministre de tutelle. C’est un homme très intelligent, toujours très courtois, avec de l’humour, mais il n’a jamais été mon patron. J’ai débuté en tant que secrétaire d’État avec Arnaud Montebourg et là, on était une vraie équipe avec Arnaud et avec Axelle Lemaire.

Carole Delga
“C’est toujours plus difficile d’être une femme en politique qu’un homme. (…) Les hommes trouvent toujours le moyen de finir mieux placés sur la photo.”

Quand Emmanuel Macron est arrivé, on n’était plus une équipe, il était déjà dans une ascension personnelle. Je pensais qu’il visait le poste de Premier ministre et je l’ai même dit à Manuel Valls et à François Hollande. Mais je me suis trompé : je pensais qu’il voulait Matignon. En fait, il visait l’Élysée.

Emmanuel Macron n’a jamais été élu local et je pense que ça lui manque terriblement. En plus, il vient d’un milieu très privilégié. Il ne connaît pas la France, ni la vie quotidienne des Françaises et des Français. Quand on entend par exemple que les Français ne pourront plus prendre l’apéro à 18 heures avec le couvre-feu. Moi, je les connais les Français : à 18 heures, ils ne prennent pas l’apéro, ils rentrent du boulot, ils s’occupent des gosses.

Je suis désolée de constater que le pays est divisé, est très inquiète et que le président de la République ne soit pas assez à l’écoute

Je suis désolée de constater que le pays est divisé, est très inquiète et que le président de la République ne soit pas assez à l’écoute.
Aujourd’hui, on est dans une situation grave pour le pays, et il reste à Emmanuel Macron 15 mois jusqu’à l’échéance présidentielle. Il faut que pendant ces 15 mois, il soit utile à la France. Il faut que toutes les bonnes énergies soient utilisées.

Anne Hidalgo présidente

Je pense que la maire de Paris ferait une très bonne candidate aux élections présidentielles pour la gauche. Anne Hidalgo, c’est une résistante, une femme qui a des convictions et qui ne lâche jamais l’affaire. Malgré les difficultés, elle a réussi, elle a une solidité politique, elle a une très bonne connaissance de la réalité de vie des Parisiens, mais aussi des provinciaux. Et puis elle a un réseau international, et quand on veut accéder à une fonction comme la présidence de la République, il faut avoir aussi ce réseau et cette vision mondiale qu’Anne Hidalgo possède.

Si elle devenait la première femme président de la République, ce serait un très bel exemple pour les jeunes générations de femmes, car c’est toujours plus difficile d’être une femme en politique qu’un homme. Quand vous êtes une femme, vous préparez tous vos entretiens. Vous connaissez vos dossiers par cœur, sur le bout des doigts. On travaille plus, donc au final, c’est un avantage. Mais les hommes trouvent toujours le moyen de finir mieux placés sur la photo.

Contre le déterminisme social

En tant que femme de gauche et socialiste, je suis attachée plus que tout à l’égalité. Ce principe est garanti parce que nous sommes dans un État unitaire, dans une République une et indivisible.

Ce qui me fait continuer, c’est le goût des autres et la lutte contre le déterminisme social

Ce qui me fait continuer, c’est le goût des autres et la lutte contre le déterminisme social. C’est encore ma mission pour le prochain mandat. Je veux que les enfants de d’Occitanie aient les mêmes chances quelle que soit la couleur de leur peau, quelle que soit leur origine sociale. Pour moi, ce combat est fondamental, c’est un combat qui est personnel et politique. C’est un fil rouge et un moteur pour continuer à avancer.

Je n’attaque jamais, mais il ne faut pas venir me chercher. Mon adversaire principal, c’est l’extrême droite. Et pour la combattre, il faut rappeler ce qu’a été l’Histoire, le sacrifice de ces hommes et de ces femmes qui sont morts pour la France, de ces petits garçons et petites filles qui ont porté l’étoile jaune et qui sont morts dans des chambres à gaz.

 

Le questionnaire de Charles

Votre objet fétiche ?
Des boucles d’oreilles en faïence de Martres-Tolosane.

Votre couleur préférée ?
Le bleu, la couleur de l’espoir.

Vos comiques préférés ?
Les Chevaliers du Fiel.

Le personnage historique avec lequel vous voudriez échanger ?
Le général de Gaulle, le symbole de la grandeur de la France, de la République retrouvée

Votre devise ?
Une phrase de Montesquieu : “Pour faire de grandes choses, il ne faut pas être au-dessus des hommes, il faut être avec eux.”

La lecture du moment ?
‘Le naufrage des civilisations’ d’Amine Maalouf.

Votre plat préféré ?
Entrecôte de l’Aubrac et frites.

Quelle empreinte souhaiteriez-vous laisser ?
Celle d’une femme sincère, honnête et qui a vraiment aimé les gens.

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