Alain Krivine : « Avant que je me retourne, j’étais un bon stalinien »

À 75 ans, Alain Krivine, le fondateur historique de la Jeunesse communiste révolutionnaire – ancêtre de la LCR – a vu nombre de ses camarades quitter le navire amiral trotskiste de « la Quatre » – comme il désigne la ivème Internationale – pour rejoindre le PS, le PCF, le Parti de gauche ou bien France Télévisions… Isolé, mais pas sinistre pour autant, le père spirituel d’Olivier Besancenot raconte un demi-siècle d’histoire de l’extrême gauche, de sa rupture avec le PCF au vent qui s’est levé au printemps 2016 contre la loi Travail.

PROPOS RECUEILLIS PAR MATHIEU DEJEAN

Il est impossible de comprendre l’émergence de l’extrême gauche révolutionnaire en France sans partir de la crise du PCF. Vous avez été membre des Jeunesses communistes puis du PCF dans les années 1950-1960, à l’apogée du stalinisme triomphant. Qu’est-ce qui vous a conduit à y adhérer ?

Avant d’adhérer au PCF, j’ai adhéré à l’UJRF (Union des jeunesses républicaines de France), l’ancêtre des Jeunesses communistes, et j’étais même à l’Union des vaillants et vaillantes, l’organisation des pionniers du PC, quand j’étais petit. J’y ai adhéré quasiment naturellement, pour des raisons familiales. Mes parents étaient de gauche, ils votaient PCF. Mon père disait qu’il le faisait « parce qu’ils ne prendront jamais le pouvoir ». Tous mes frères – mon jumeau et les autres, qui sont plus vieux –, sont passés par le PC. Pour moi, c’était naturel d’adhérer aux Vaillants, à l’UJRF, puis au Parti communiste. C’était la tradition.

Vous faisiez donc partie de la contre-société communiste ?

Complètement. En 1956, après l’intervention des chars soviétiques à Budapest, l’extrême droite a brûlé le siège du PCF, qui était alors situé carrefour de Châteaudun, dans le IXème arrondissement. J’habitais tout près, je montais la garde régulièrement en tant que JC dans cet immeuble. J’ai participé, avec des milliers de militants communistes, à la contre-manif spontanée qui a permis de chasser l’extrême droite des sièges du PC et L’Huma, au terme de dures bagarres. Je me rappelle un meeting au Vel’ d’Hiv’, où Jacques Duclos devant 15 000 personnes avait dit : « La classe ouvrière hait les pédérastes. » Tout le monde applaudissait cette phrase dégueulasse, moi le premier, c’est honteux. À cette époque, Jeannette Vermeersch, la femme de Maurice Thorez, dénonçait la contraception comme un vice de la bourgeoisie, en parlant du « contrôle des birth » (il prononce volontairement à la française – NDLR). Avant que je ne me retourne, j’étais un bon stalinien.

Quand avez-vous commencé à douter du fonctionnement du parti, et à avoir des soupçons sur sa fidélité aux idéaux révolutionnaires ?

En 1957, j’étais un des meilleurs diffuseurs du journal des JC, L’Avant-garde jeunesse. À ce titre, j’ai été envoyé au festival de la jeunesse de Moscou. En bon stalinien, à la frontière, j’étais ému comme tout, mais c’est à partir de ce voyage que j’ai commencé à douter. Nous étions des milliers, dont une délégation clandestine du FLN qui a défilé dans le grand stade avec le drapeau algérien. Moi qui ai toujours été un peu activiste – stalinien, mais activiste –, j’ai été ému par leur présence, et j’ai réussi à organiser une rencontre entre la délégation des JC

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